Les groupes féministes, comme d’autres groupes militants, s’activent ces jours-ci. En les voyant aller, je me suis demandé pourquoi je n’ai encore jamais été une militante féministe. Tranche de vie.
J’ai le masculin développé. Adolescente, je ne voulais pas correspondre à ce qu’on me présentait comme étant «la femme» et que je trouvais cheap, faible, innocent. Plusieurs jeunes homosexuels qui avaient encore espoir de ne pas l’être ont été amoureux de moi, trouvant peut-être chez moi un compromis acceptable. Quelques lesbiennes m’ont aimée aussi; mon côté gars leur donnait peut-être un faux indice de ma disponibilité. De mon bord, mon côté garçon ne m’a pas assez nui pour que les hommes qui n’avaient pas peur des femmes à la tête forte ne trouvassent pas le package intéressant quand même. Il faut dire que j’ai été chanceuse : la génétique m’a donné un physique qui se trouve par hasard dans la braquette acceptable du modèle de femme Occident-21e siècle, braquette en dehors de laquelle il faut se fait chier beaucoup plus pour avoir ce qu’on veut – que ce soit une job, un homme ou des honneurs. C’est grâce à ce physique, entre autres, qu’un amant extraordinaire m’a fait voir au début de ma vingtaine que je n’avais pas du tout besoin d’être garçonne; qu’être forte et intelligente pouvait aussi être extrêmement féminin et sexy et que je pouvais être pleinement femme et pleinement sexualisée sans que cela ne soit cheap, innocent ou moins rock. Bref, j’ai dû faire de drôles de circonvolutions pour être fière de moi en tant que femme et, dans cette aventure, j’ai été grandement aidée par la génétique. Pour d’autres, ça doit être foutrement plus difficile. Je sais très bien que, si j’étais laide, je serais intensément frustrée que les hommes, les employeurs et la société préférassent toujours une jolie conne à moi.
Sauf que comme pour la collectivité québécoise, ce n’est pas parce que on s’en tire généralement bien qu’il n’y a pas d’avantages à se libérer des chaînes qui nuisent à nos mouvements. Je ne vois pas comment mon esprit est touché par le machisme, alors je conclus inconsciemment qu’il n’y a pas de machisme et que les féministes sont redondantes de toujours parler de ça. Je leur dis même parfois, honte à moi : «Vous nuisez à votre cause avec des mots aussi typés que «machisme», et puis vous avez toujours l’air frustrées, ça n’attirera personne…» Mon dieu! Combien de fois ai-je cherché des chemins de contournement pour ne pas dire aux gens que nous, Québécois, étions des colonisés plantés devant des émissions américaines ridicules et que c’était TRAGIQUE! Que notre culture se faisait écraser par une autre qui veut y mettre ses cochonneries à la place, comme nous avons jadis écrasé les cultures autochtones pour les bourrer de Jésus et de haine d’elles-mêmes en leur disant qu’elles étaient arriérées et minables! Que les dommages seront graves, infiniment regrettables, irréparables? Et même lorsque je me retiens pour ne pas faire fuir le monde, même lorsque je parle doucement, avec tendresse ou avec une intelligence tranquille, d’économie ou de relations internationales, combien de Québécois me répondent tout de même : «Bof, moi, je ne vis aucun désavantage du fait d’être Québécois, alors arrêtez avec votre nationalisme défensif…»
Je n’ai pas encore vu le machisme entraver ma route, mais je commence à saisir qu’il me constitue, qu’il évolue dans certains racoins importants de ma psychologie. C’est pour ça que j’irai, curieuse et pleine d’espoir d’être touchée, à cette soirée sur le féminisme à l’Agitée le 26 mars prochain. En tant que citoyenne.