On entend de la bouche des enfants, lors de cette éprouvante aventure d’initiation à la consommation, des horreurs du genre : «Y a pas d’autres cadeaux?», «C’est pas lui que je voulais», etc. Alors on se jette sur eux pour les éduquer : «Qui t’a donné ce cadeau?» (Ils ne le savent pas, on tente leur imprime dans la tête en leur faisant répéter : «C’est Untel. Qui te l’a donné? Oui, c’est ça, c’est Untel. Tu es content? Va dire à Untel que tu es content».)
Le peu de temps écoulé entre le déballage d’un cadeau et sa mise au rancart met parfois toute la compagnie mal à l’aise. Par empathie pour le donneur dépité, les adultes s’empressent alors de valoriser le cadeau : «Oh, c’est donc ben beau! Un petit [whatever] avec tout ce qu’il faut pour [whatever]… C’est sûr qu’il va s’amuser avec ça, moi j’ai tellement tripé quand j’étais petite…», etc. Ou bien on essaie de freiner l’hémorragie d’indifférence chez l’enfant : «Heille, attends minute avant d’en développer d’autres! Regarde ce que tu viens de recevoir!» L’enfant nous répond mécaniquement : «Oui, c’est cool», avec dans les yeux l’idée fixe de passer au suivant. Nous nous échinons à leur apprendre à donner de l’importance et du sens à chaque cadeau offert alors que ces cadeaux leur tombent dessus dans une abondance qui fait baisser leur valeur à presque rien, comme celle des monnaies qui souffrent de l’inflation.
J’ai moi-même souvent acheté du plastique de chez Toy’s R Us en espérant que ça plaise aux enfants, tout en pensant : «Ils ont tellement de jouets! Ont-ils vraiment envie/besoin de ça?» Et au moment du déballage éclair de ces cadeaux, j’ai souvent vu passer dans leurs yeux un contentement fugace et vite évanoui qui faisait couler sur mon offrande de convenance une légère absurdité. (J’ai toujours préféré les moments où je pouvais créer un contact réel avec eux, et je pense qu’eux aussi. Mais c’est moins facile à faire que de payer avec ma Visa des produits dérivés d’un film de Disney.)
Et tandis que les enfants sont ensevelis sous des objets qu’ils n’ont même pas eu le temps de désirer, le geste millénaire de faire une offrande à une personne estimée, tout comme celui d’exprimer sa reconnaissance pour un présent reçu, perdent leur sens. En fait, non. Ce n’est pas l’offrande qui perd son sens. C’est l’objet.
Pour la fête de ma fille de trois ans, son parrain l’emmènera à sa première game de hockey à vie. (Il sait que son livre préféré d’avant-dodo est «Maurice Richard raconté aux enfants», acheté à 5$ à la Ressourcerie du Lac-Saint-Charles.) Je ne veux pas faire un classement des bons ou des mauvais cadeaux; on fait tous de notre mieux. Mais dans un monde encombré d’objets où ce qui manque partout, c’est du temps et de la présence humaine, les cadeaux les plus précieux sont souvent ceux qui, justement, exigent un effort particulier de présence. Ils ont, en tous cas, plus de chance de ramollir la pâte qui relie les gens entre eux que ces objets vomis en série par les usines chinoises. Plus de chances de marquer l’imaginaire des enfants. Plus de chances d’ouvrir leur coeur, leur esprit, leur appétit de vivre. Plus de chances de leur donner ce qu’ils ne pourront jamais se procurer en sortant une carte de crédit. Et là, la reconnaissance, on n’a pas besoin d’apprendre à la singer. Elle vient.
Euh… « on tente leur imprime » ?