C’est quoi l’affaire d’encore toujours contester? Vous avez pas vu les sondages sur la loi antiterroriste? Tout. Le. Monde. Est. D’accord. Alors go C-51!! On en a besoin! Les islamistes sont DÉGUEULASSES! AAARRR!
Vous qui avez répondu au sondage, saviez-vous que la GRC considère ceux qui militent contre l’industrie pétro-gazière comme une «menace potentielle» à la sécurité du Canada? Saviez-vous que la nouvelle loi permettra aux services secrets canadiens de faire ce qui leur plaira pour «réduire la menace»?
Vous qui avez répondu au sondage, saviez-vous que proférer certaines paroles sera désormais illégal, comme en France où des gens ont été arrêtés et jugés après avoir écrit quelque chose comme «Bien fait» sur leur mur Facebook après les attentats? (Beaucoup ont spontanément pensé, le 11 septembre 2001, quelque chose du genre. Au Canada, l’exprimer sera maintenant interdit.) Et quel effet ça aura sur les journalistes, sur les chroniqueurs, sur les universitaires, sur les profs, bref, sur le débat public?
Saviez-vous que les agents des services secrets ainsi que quelques juges (dans des jugements secrets) décideront seuls des types de personnes et de mouvements qu’il conviendra de prendre en filature? On ne pourra pas les ostiner, on ne saura pas qui ils s’arrogent le droit d’espionner ou d’emprisonner sans mandat, ni pourquoi. Il n’y aura pas de débat.
Ça, ce sont des caractéristiques de l’État policier.
Au parlement, les Libéraux et les Bloquistes appuient la loi et les Néo-Démocrates ne l’ostinent pas vraiment. Parce que les sondages. Parce qu’on ne cesse de montrer à la télé les horreurs perpétrées par des groupes armés à des milliers de kilomètres d’ici. Parce qu’on fait tourner les images de deux attentats commis par deux Canadiens haineux qui, s’ils n’étaient pas tombés sur la propagande djihadiste avant de tuer du monde, auraient probablement choisi, à la place, de rentrer dans une école pour tirer à 360 degrés. Y a juste Elizabeth May du Parti Vert qui a osé dire que cette loi doterait le Canada d’une police secrète. Elle a aussi été la seule à demander si la définition de terrorisme dans C-51 incluait les protestations anti-pipeline. Elle n’a pas eu de réponse. Si un manifestant invite son monde à participer, par exemple, à la marche du 11 avril contre le pipeline à Québec, est-ce que ça va autoriser les services secrets à mettre des micros chez lui et à fouiller ses courriels? S’il fait un statut du genre : «Les manifestants occupent le terrain du Parlement! Yé! On lâche pas!», est-ce que ça les autorisera à l’arrêter sans mandat en attendant que la contestation s’épuise?
Je suis d’habitude d’un invincible optimisme, mais là, pantoute. Est-ce parce que j’ai trop lu de livres d’Histoire et que j’ai une idée de ce à quoi ressemblent ces cages à homard «sécuritaires» dans lesquels les peuples se laissent glisser sans se douter qu’ils ne pourront en ressortir? Le Canadien moyen ne s’en rend pas compte, comprend mal le dossier ou s’en fout. La chose publique a tellement été hijackée par des profiteurs et des vendeurs de chars usagés qu’il a fini par s’en écoeurer : «Oh, do whatever you want.» Et ceux qui voient clairement la chose s’arrachent les cheveux devant un troupeau indifférent accablé par ses dettes, sa job instable ou son obsession de performance, par son isolement ou simplement par sa pauvreté culturelle qui n’a pas besoin de pauvreté matérielle pour se manifester, oh que non.
Je parle de livres d’Histoire et je réentends les larbins s’exclamer : «On en a assez, de cours d’histoire! Demandez-vous ce dont l’économie et/ou l’État ont besoin et formez des jeunes pour qu’ils fittent là-dedans!» C’est comme ça qu’on fait du bon monde obéissant fait pour vivre dans un monde ordonné, hiérarchique, propre et glabre, sans racaille révolutionnaire, sans mouvements, sévère, mort.
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