Au parc.
Un petit garçon de six ans joue dans la pataugeuse.
Sa mamie le guette, assise sur le rebord de béton. Elle est assise, malgré son âge, comme une soubrette : tout entière tendue vers les désirs de son petit-fils.
« J’ai faim! » crie-t-il sans la regarder.
Jusque-là immobile, elle se met à tanguer subtilement d’avant en arrière : ce cri a suffi à faire monter la tension en elle.
« T’auras pas de cochonneries », dit-elle.
« J’ai faim! » crie-t-il encore avec un chignage nouveau intégré aux mots.
Elle tangue un peu plus.
« Tu peux avoir des noix. »
« Ok, va m’en chercher », dit-il avec déception. Puis : « C’est quoi des noix? »
« C’est ce que je te mets dans tes céréales pis tu les manges jamais ».
« Ok, va m’en chercher. »
« Quoi? »
« S’il vous plaît ».
Elle se lève pour aller les acheter. Il la regarde marcher. Puis : « Non j’en veux pas! » et elle retourne s’asseoir. Il la regarde faire.
Ce petit garçon n’a rien d’anormal; un peu cavalier peut-être, mais grosso modo il est de son époque.
Est-ce la rareté des enfants qui fait augmenter leur valeur, leur rang dans la hiérarchie? Ou le grand nombre des 70 ans et plus qui fait baisser la leur, leur rang dans la hiérarchie?
Je ne sais pas.
J’ai des images en tête, sorties de Pour la suite du monde, le documentaire de Pierre Perreault tourné au début des années 60 sur l’île-aux-Coudres. Les vieux parlent aux plus jeunes avec une assurance de vieux à laquelle on n’est plus habitué, sauf dans les universités. Un enfant écoute religieusement, le corps pogné dans une timidité intense, tout tendu vers ce que racontent les vieux. Un vieux lui fait un signe de la main : « Va me chercher telle chose ». L’enfant s’exécute et part comme une fusée, content qu’on ait fait appel à lui. C’était une époque où les enfants surgissaient de partout et où les vieux, il n’en restait plus beaucoup.
Étrange revirement.
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