Il y a quelque temps une connaissance publiait sur facebook deux images identiques faites par Santé Canada, une dans chaque langue, qui représentaient une femme voilée prenant une poffe de pompe à asthme. Sur la première, on lisait des commentaires de Québécois fâchés qui s’insurgeaient parce que la madame portait un voile. Sur l’autre, celle en anglais, il n’y avait pas de commentaires. La connaissance en question titrait : «Édifiant. Je me sens pas mal Canadien dans le moment».
Bon. Puisque c’est si facile, voici, ça m’a pris une minute trente à trouver ça. Traduits spécialement pour vous, directement du Canada anglais. «L’Islam est une maladie. Il faudrait stériliser tous les Autochtones. Prenez votre français et crissez-vous-le dans le cul. Il ne faut plus laisser rentrer aucun musulman ils importent leur haine et leur violence. J’espère que la police va tirer sur les Indiens qui bloquent les routes, ou leur rouler dessus. Les Anglais auraient dû exterminer les Français sur les plaines d’Abraham. (À une militante autochtone) J’espère que tu vas te faire violer et tuer.» Etc. Vous voyez, c’est pas compliqué. Et hop! On ne se sent plus canadien.
Si, comme j’en suis persuadée, cette connaissance sait qu’on peut faire dire ce qu’on veut à un fil facebook ou à un événement isolé (comme la fois où Martineau avait basé son analyse du Printemps érable sur un étudiant «gâté» qui pitonnait sur son iPhone à une terrasse), quel est le réflexe de fond qui l’a fait publier ça?
Il m’arrive de penser qu’il existe, chez certaines personnes par ailleurs progressistes, un soulagement à conclure que les Québécois n’en valent pas la peine, finalement. Un soulagement à se dire : «Ah, pis tant pis. L’indépendance, la défense de la culture, tout ça. Tant pis. Je ne les aime plus. Je n’en suis plus.» Non seulement parce qu’ils sentent bien qu’on va perdre – ça, «sentir qu’on va perdre», on pourrait dire que ça fait partie de la cartographie psychologique québécoise – mais aussi parce qu’ils aimeraient bien en finir avec cette culpabilité de n’éprouver presque pas de fierté pour leur culture, pour leur peuple. Et que, comme un père tanné de se sentir coupable d’avoir été un père absent aimerait bien qu’on le convainque que son fils, de toute façon, est un sans dessein, le militant d’autrefois trouve plus facile de dire : «Ah, pis c’est toute de la marde. Abandon. Soulagement.»
Et c’est aussi ça, être Québécois. Ce regard si peu tendre envers soi-même. Fait que t’as beau te sentir canadien aujourd’hui, mais tu sens le Québec à cent mille posts à la ronde, mon loup. Pis la vérité, c’est qu’à moins que t’aies vécu la moitié de ta vie dans une autre culture, tu es tissé de Québec des pieds à la tête, que tu le veuilles ou non. Toi et moi, on est le Québec, tout comme ces racistes haineux et désorientés, tout comme, aussi, toutes ces belles personnes qui sourient dans la rue au printemps, qui parcourent le territoire en été, qui emmènent leurs enfants voir les baleines, qui poussent les chars des inconnus pognés dans la neige, qui sont fatiguées de leur job sans sens, qui s’aiment et se détestent, qui essaient de se dépatouiller dans cet environnement mental qui est une jungle dangereuse où tu peux perdre ton intelligence et ta mesure à chaque tournant.
Mais que tu lâches ton dédain sur les musulmans, sur les racistes, sur toi-même ou sur tout le monde en même temps, tu garderas toujours cette même odeur de dégoût, et tu la répandras. Moi je dis : un peu de tendresse, bordel.
(Sans rancune, j’espère.)
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