Des musiques habitaient Christian Roberge depuis longtemps. Il a emprunté le nom d’Égrébor pour laisser éclore Éclectopop, cet univers plus près de son essence. Dans cet album éclectique, il révèle ses dons d’auteur-compositeur en osant sonder l’âme humaine et partager ses préoccupations. Ses talents de musicien et d’interprète ont été reconnus dès ses débuts en 2008 avec The Lost Fingers puis plus récemment, en 2016, avec «Planète Brassens».
Par Susy Turcotte
Égrébor, ce sont les lettres de ton nom de famille à l’envers. Comme les textes évoquent souvent des êtres en désarroi, désillusionnés et confrontés au vide, je me disais : c’est un peu lui, Christian, qui se sent à l’envers.
Christian Roberge : Mon père, qui est décédé depuis longtemps, m’avait raconté que lorsqu’il était jeune, ses amis et lui s’amusaient à inverser leurs noms. Lui s’appelait Pierre Roberge, ce qui donnait Erriep Égrébor. Je me souviens qu’il trouvait cela drôle. Donc, c’est un petit rappel d’un moment de jeunesse de mon père. Je ne sais pas s’il y a une part d’inconscient dans cette métamorphose de mon nom, mais oui, par moments, comme être humain, je me sens à l’envers aussi.
Dès la première écoute, ce qui m’a émue, c’est cette conscience constante du vide. Dans Voyage, la créature traverse le vide infini.
C.R. : Il y a le vide intersidéral auquel on est amené à penser en voyage. Petite sorcière aborde le vide, mais sous un autre angle. Petite misère explore le mal du siècle, le fait de se rendre compte que tout ce qu’on fait est un peu vain, puis qu’on interagit principalement avec des ordinateurs. Le vide émotionnel se faufile dans les chansons plus sentimentales.
Émasculé et Messie parlent toutes deux de la souffrance ressentie quand on est privé d’un amour important.
C.R. : Dans la musique d’Émasculé, il y a un clin d’œil à Michael Jackson. Sous cette chanson en apparence festive, un thème plus sérieux se dégage : la rupture amoureuse peut être vécue comme une castration psychologique.
Dans Messie, le personnage est ni plus ni moins crucifié.
C.R. : Oui, et sur le plan graphique, les textes forment une croix. Je me suis imposé beaucoup de contraintes pour l’écriture : tous les verbes débutent par «ch». Ce que je voulais évoquer, c’est qu’on attend trop de l’amour : on espère qu’il nous sauve, et c’est peut-être trop lui en demander.
La pièce Au CHSLD est façonnée pour faire ressortir le cycle infernal de la même journée qui se répète en attendant la mort.
C.R. : L’expérience vécue par ma grand-mère a contribué à ma réflexion sur ce sujet. J’ai été attristé de la voir perdre son autonomie. Du jour au lendemain, elle est déménagée dans une petite chambre blafarde, avec deux trois effets personnels, en jaquette. Elle n’avait plus de plaisir dans la vie. Je voulais susciter des questionnements à propos de la fin de vie en CHSLD. Comment aborde-t-on cette réalité? Il y a des sociétés qui proposent des options différentes.
La pièce Léon Léon est empreinte de mystère.
C.R. : Dans les accords de cette musique que j’avais depuis un bon moment, je percevais quelque chose d’onirique. Je voyais bien l’univers du rêve là-dedans. Les premiers essais de paroles étaient des chansons surréalistes, décrivant des bouts de rêves. Puis, je suis tombé sur un livre fascinant de Léon d’Hervey marquis de Saint-Denys. Il aurait inventé le terme de «rêve lucide» et il décrit ses expériences. Ce sujet m’inspirait.
Pour J’attends un cancer, il est question d’une étrange grossesse, celle d’un cancer.
C.R. : Je ne veux pas être misérabiliste, mais comme homme, après certains déboires, et parvenu à un certain âge, on a l’impression que tout ce qu’on pourrait enfanter, c’est un cancer. C’est un parallèle entre quelqu’un chez qui la vie est en train de naître, et quelqu’un d’autre chez qui la mort est en train de s’ancrer, de la même façon qu’un fœtus : une petite boule de cellules qui grossit.
Ta mère est vraiment touchante, surtout ce passage : «Elle fait taire les voix des Enfers, le tonnerre, l’amer, l’éphémère» et plus loin «Tu broies du noir, elle ouvre un soupirail.»
C.R. : J’avais envie de parler de l’amour qu’un enfant porte à sa mère. J’ai eu la chance d’avoir une mère en or et je voulais en témoigner. Dans des situations où on ne sait pas trop comment agir, on peut se référer à la mère comme phare dans l’existence.
Christian Roberge a plusieurs cordes sensibles à son arc et cible toujours le cœur. En attendant que vibrent sur scène les créations issues d’Éclectopop, qu’il signe sous le nom d’Égrébor, on peut apprécier son talent au sein de la formation Los Gatitos Tangueros, un trio qui interprète les chansons traditionnelles du tango argentin. On ne peut que succomber à ces musiques belles et poignantes dans lesquelles le don visite l’abandon.
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