Québec — Dans un rapport rendu public le 9 novembre, le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) se montre très critique à l’égard du projet de tramway de la Ville de Québec. Celui-ci n’apparait « pas optimal au regard des besoins de mobilité de la ville et de la région », selon l’organisme, qui recommande que le projet ne soit pas autorisé en l’état. Le maire Régis Labeaume s’est dit « renversé » par ce rapport qu’il a notamment qualifié de « tronqué » et « biaisé » en conférence de presse.
« La commission considère que l’initiateur devrait procéder à une nouvelle analyse des options au projet permettant, le cas échéant, de développer un projet qui réponde davantage aux défis de mobilité sur le territoire, dans une perspective régionale. Elle recommande donc que le projet ne soit pas autorisé en l’état. La commission est toutefois convaincue que la Communauté métropolitaine de Québec doit se doter d’un réseau performant de transport collectif qui soit structurant à l’échelle du territoire et, en ce sens, elle convie le gouvernement du Québec à confirmer son soutien à un tel réseau et à maintenir son engagement financier tout en précisant ses intentions quant au projet du 3e lien », indique l’organisme dans son rapport.
« Le projet présenté, tout spécialement quant à la technologie retenue, soit le tramway, et du tracé privilégié, n’apparait toutefois pas optimal au regard des besoins de mobilité de la ville et de la région de Québec et du niveau de service obtenu par rapport aux investissements consentis. La commission constate par ailleurs que le choix d’un tramway marque un point d’inflexion dans le processus consultatif continu auquel ont participé les citoyens au fil des dernières décennies, et qu’à partir de son annonce, en mars 2018, les consultations publiques ont pris la forme de campagnes d’information et de promotion. De plus, le principe d’une enveloppe budgétaire fixe déterminée par la Ville de Québec avant que les coûts de réalisation ne soient précisés l’a forcée à réduire la portée du projet annoncé initialement », note également le BAPE.
« La commission est résolument favorable à un réseau structurant de transport en commun. Le tramway proposé est susceptible de contribuer à une hausse significative de la part modale du transport collectif à Québec. Des questions subsistent néanmoins quant à la pertinence du tramway comme mode de transport, à la complexité de son insertion dans la trame urbaine, au choix des secteurs desservis et à la proportion des investissements requis par la construction du tunnel et la réfection de la voirie qui sont inhérents au choix de la technologie », poursuit le BAPE.
Le maire réagit
La Ville « a relevé une série d’affirmations erronées et contradictoires, a affirmé le maire de Québec, RÉGIS LABEAUME, lors d’un point de presse, le 9 novembre en après-midi. (La Ville) en vient ainsi à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’un rapport d’analyse, mais plutôt d’un rapport de consultations tronqué, biaisé et rempli d’incohérences. »
« À la lecture du rapport de plus de 400 pages et des 14 pages composant son sommaire et sa conclusion, plusieurs éléments soulevés par la commission méritent d’être précisés ou rectifiés, notamment en regard du cadre budgétaire, de la portée régionale du projet ainsi que de l’arrimage avec le Tunnel Québec-Lévis, de l’aménagement du territoire et du développement de la ville, des prémisses à considérer pour la configuration d’un réseau de transport en commun, du choix du mode de transport, du tracé retenu ainsi que de la consultation citoyenne », a aussi indiqué la Ville dans un communiqué.
« Les conclusions du rapport discréditent également complètement les appuis gouvernementaux déjà reçus. Tant les gouvernements libéral et caquiste au niveau provincial que le gouvernement fédéral ont déjà consenti à financer le réseau structurant. La Ville a également reçu l’appui des organismes en développement durable du Québec et de la région, de la communauté d’affaires et des organisations jeunesse », a déclaré le maire.
« Jamais le rapport ne mentionne que 68% des mémoires déposés sont favorables ou, avec aussi, des éléments perfectibles. Jamais le rapport ne le mentionne. C’est très spécial », a aussi fait savoir l’élu lors de son point de presse. En tout, ce sont 126 mémoires favorables au projet qui ont été déposés dans le cadre de l’audience publique du BAPE, selon des données fournies par la Ville.
Le rapport ne mentionne « que deux fois » la fréquence de passage du tramway (de 4 à 8 minutes) et ne parle pas « une seule fois de l’amplitude de service de 24 heures sur 24, alors que ce sont probablement les deux éléments les plus importants du succès du transport structurant. Ça, c’est grave », a également déploré M. Labeaume.
Bussières déçu
Le conseiller municipal indépendant du district Montcalm–Saint-Sacrement, YVON BUSSIÈRES, s’est quant à lui dit « déçu du fait que le tramway est remis en question compte tenu de l’achalandage ».
« En remettant en question l’achalandage, on vient remettre en question le type de véhicule qu’on voulait pour faire le transport collectif », dit-il au téléphone.
« Là, c’est comme de retourner à nos planches à dessin et de regarder, à partir d’un achalandage moindre, quel est le moyen de transport moderne pour le 21e siècle qu’on peut donner à la ville de Québec (…). Est-ce que l’étude pour les trambus va revenir? Je n’ai pas la réponse », soutient M. Bussières.
Surprise
« On est extrêmement surpris de la teneur du rapport du BAPE », indique le directeur général d’Accès Transports viables, ÉTIENNE GRANDMONT, au téléphone, le 9 novembre.
« On s’attendait à un rapport qui soit critique du projet car (il y a des améliorations) qui peuvent y être apportées. Nous-mêmes avons participé à la consultation aux audiences publiques, du BAPE. On a proposé des améliorations, notamment en ce qui a trait à l’insertion urbaine, à la canopée. Il y a des choses à améliorer (mais), jamais on ne pensait que le BAPE irait jusqu’à remettre en question le projet, alors que c’est un projet qui est bon pour l’environnement. C’est un projet qui est sain, qui est électrique, qui va donner des options aux gens de se déplacer plus rapidement, plus efficacement. On est très étonnés », soutien M. Grandmont.
« Aussi, on pense qu’on a assez consulté. Le BAPE lui-même rappelle que sept consultations ont eu lieu sur les enjeux touchant le projet de réseau structurant de transport en commun dans les dernières années. Comment peut-on vouloir consulter davantage?», ajoute-t-il.
« Le rapport est vraiment très étrange », dit M. Grandmont qui soulève aussi certains questionnements et incompréhensions dans le document. Son organisme doit réagir officiellement par voie de communiqué ce mardi 10 novembre.
Critique à l’égard du BAPE
« C’est décevant, mais pas surprenant, vu la composition de la commission du BAPE et les compétences réunies autour de la table pour analyser le projet (…) », lance ALEXANDRE TURGEON, directeur général et vice-président exécutif du Conseil régional de l’environnement – région de la Capitale-Nationale (CRE), au sujet du rapport.
« La commission devant étudier les transports en commun ne contenait aucun expert ni compétences en transport collectif, ou même en transport, parmi ses membres (droit et sociologie, géographie et océanographie, génie mécanique en procédé industriel) », précise un communiqué du CRE reçu après notre entretien.
« C’est décevant mais ce n’est pas excessivement surprenant, avec la nature des questions et comment ils comprenaient certains enjeux ou certaines présentations du Bureau de projet (de la Ville) », enchaîne M. Turgeon au bout du fil.
Le rapport du BAPE verse plus souvent dans l’opinion que dans les faits scientifiques, en retenant que les opinions qui corroborent sa thèse. « Quand j’ai lu la synthèse, j’ai eu l’impression que la commission a été davantage à l’écoute à ce qui s’est dit dans les médias au cours des deux derniers mois, que ce qui s’est dit devant lui durant les consultations, en première partie et en deuxième partie, cet été », a aussi soutenu Alexandre Turgeon dans le communiqué.
« Le BAPE déborde de son rôle, car il remet carrément en question le mode de transport. Ça ne fait pas partie du mandat que le ministre de l’Environnement a confié au BAPE », ajoute-t-il en entrevue. Selon M. Turgeon, il y a une « incompréhension des enjeux en matière de transport ».
« Une chose importante à rappeler : le BAPE n’est pas responsable de l’évaluation environnementale des projets au Québec. L’évaluation environnementale se fait en parallèle. C’est le ministre de l’Environnement qui a la responsabilité de colliger l’avis de ses analystes et de tous les ministères et organismes du gouvernement qui auraient une opinion à donner sur le projet », martèle Alexandre Turgeon.
C’est le ministère de l’Environnement qui « va émettre un rapport au ministre qui va exécuter les conditions de réalisation du projet. Dans la compréhension populaire, on a tendance à penser que le BAPE, c’est l’évaluation environnementale. Non, le BAPE ne fait même pas partie de l’évaluation environnementale. C’est un processus parallèle qui vise à informer et prendre le pouls de la population et des groupes pour voir quelles sont les préoccupations et comment se fait l’acceptabilité sociale par rapport à ce projet-là », soutient M. Turgeon.
« Le BAPE devrait faire état que l’acceptabilité sociale du projet, en regard aux opinions qui lui ont été émises, est extrêmement forte. Ça, il ne le dit même pas! », ajoute-t-il.
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