Chaque humain semble programmé de la même façon lorsqu’il accède à certaines fonctions publiques (maire, ministre, premier ministre) : il est préoccupé par son héritage. Régis Labeaume n’est certainement pas différent des autres. Il y a fort peu de politiciens qui quittent la scène en ne se souciant aucunement de ce qu’ils laissent derrière eux.
Par David Lemelin
Pour le maire de Québec, jusqu’en 2017, le bilan pouvait laisser perplexe : outre les célébrations réussies du 400e, toute l’effervescence et une indéniable fierté retrouvée, on pouvait surtout retenir les crises et sautes d’humeur, les bouchons de circulation et la construction d’un amphithéâtre qui s’avère au final déficitaire.
Le maire s’est sans doute alors demandé : « mais, que vais-je laisser aux gens de Québec? »
Devant lui, des statistiques à considérer avec le plus grand sérieux : 750 000 déplacements chaque jour dans la zone d’influence du réseau, auxquels il faudra ajouter 100 000 déplacements quotidiens d’ici 15 ans à peine avec la croissance de la population (28 000 ménages). Ça voudrait dire 11 nouvelles voies de circulation pour absorber le choc. Or, Québec n’a pas ce qu’il faut pour développer des voies routières au centre-ville.
Que faire?
Il n’y avait pas 36 solutions. Il fallait s’occuper de l’aménagement du territoire, s’attaquer aux modes de transport pour relier les grands générateurs de déplacements.
Labeaume s’est donc jeté corps et âme dans le projet de réseau structurant, dont le tramway constitue la colonne vertébrale, pour s’assurer de léguer aux citoyens quelque chose de concret, de positif à bien des égards et qu’on ne pourrait certainement pas oublier.
Plusieurs ont souligné que cet attrait soudain pour le tramway est arrivé sur le tard, n’ayant même pas annoncé ses couleurs lors de l’élection de 2017. En revanche, le réseau structurant, lui, n’a jamais vraiment attendu que les astres du maire s’alignent. Patiemment, plusieurs experts ont mis de l’avant une vision, dès les années 1990, appuyée sur les axes les plus achalandés, en bonifiant le concept au fil du temps, jusqu’à offrir au maire de Québec un projet qui tenait la route, prêt à mettre sur les rails.
Cet ambitieux projet devait offrir à Québec un réseau de transport digne des agglomérations de cette importance, capable de convaincre une population dont la ville s’est construite essentiellement autour de la voiture en solo. Le projet, c’est une ligne de tramway de 22 km, incluant 2,6 km en souterrain, une ligne est-ouest de 12,6 km de voies réservées, des lignes nord et est de 22,3 km de voies réservées. C’est aussi un réseau en mesure de rejoindre 65 % de la population et 81 % des emplois à l’intérieur d’un périmètre de 800 mètres de l’une ou l’autre de ses composantes.
Mais, une fois le concept en main, le plus dur venait alors de commencer : convaincre Québec et Ottawa de financer le projet. Régis Labeaume s’est donc engagé dans de longs et difficiles pourparlers, sur un parcours long et sinueux, semé d’embûches, de progrès et de reculs, pour se conclure trois ans plus tard, par un soupir de soulagement. Le conseil des ministres a donné son aval, le projet de 3,3 milliards $ pourra se concrétiser grâce aux investissements de 1,2 milliard $ du gouvernement du Québec, 1,8 milliard du gouvernement fédéral et 300 millions de la Ville. Pour ce faire, le maire a dû sacrifier l’axe vers Charlesbourg au profit de l’axe vers d’Estimauville, choix de prédilection du premier ministre Legault.
Les débats sur les choix de tracés et modes de transports ont été nombreux et ne s’arrêteront pas de sitôt. Les critiques ont aussi été nombreuses, affectant à la longue l’appui populaire au projet. Les critiques seront sans doute vives lorsque le chantier, immense, donnera l’impression d’avoir éventré la ville pendant quelques années. Le bruit, la poussière et les changements d’habitudes mettront rudement à l’épreuve la patience des gens de Québec.
Mais, dans quelques années, lorsque le tramway nous sera devenu familier, Régis Labeaume pourra, sourire en coin, en dépit des dépassements et des erreurs qui auront été commises pendant la construction, se dire qu’il a eu raison de mettre Québec sur les rails du 21e siècle.
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