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Chronique buissonnière

Arbre feuillu

Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, comme disait l’autre, c’est mon habitude de me promener dans les parcs et les jardins publics dans l’espoir d’y surprendre de singuliers propos pouvant faire l’objet d’une chronique. 

Si par hasard je rencontre sur mon chemin un bel et gros arbre juste assez près de la route pour entendre les passants, mais suffisamment éloigné pour éviter les soupçons, je m’y allonge doucement et je fais mine de me reposer alors que toute mon attention est tournée vers ce que disent les marcheurs.

Ce n’est pas vrai, je vous niaise. Mais il m’arrive d’être surpris par des bouts de conversation que j’écoute malgré moi, alors que je traine mon ennui partout où il faut bien que j’aille. 

Nous venons, cette fin de semaine, de passer les plus beaux jours de l’année. Déjà, ils sont derrière nous, glissant dans un oubli de plus en plus obscur… ture lure.

Le bonheur des âmes oisives qui se plaisent à perdre leurs jours couchés dans les parcs aurait été complet, si seulement ces pauvres petits véhicules motorisés qui répandent Twist and shout partout sur leur passage s’étaient tus, le temps d’un après-midi. 

N’oublions pas non plus les deux originaux tout droit sorti du futur qui terrorisent le parc linéaire de la rivière Saint-Charles avec leur casque de moto en miroir et leur étrange planche électrique à deux roues qui doit bien atteindre les 100 km/h, tout en crachant une sorte de musique techno. 

Mais je m’égare. Je voulais partager trois bribes de conversation qui m’ont particulièrement intéressé. 

***

Deux hommes et une femme parlent tranquillement, avec à côté d’eux une jolie bouteille de vermouth bien entamée (je crois lire « rouge gorge » sur l’étiquette, mais allez savoir). 

– … guerre froide. En tout cas, mon père il était là, à Berlin, en 1989, quand ils ont fait tomber le mur. Il a encore une photo chez lui, où on le voit en train d’arracher un morceau de bois et de ramasser des pierres. Il dit toujours que ça lui donne le sentiment d’avoir été un acteur de l’histoire.

– Mon père à moi, il était à Wild Wood en 1989. C’est cette année là qu’il m’a appris à monter une tente. 

Lequel de ces deux hommes, pensez-vous, a fait le plus beau voyage ?

*** 

Plus loin, un homme et une dame se tiennent debout, en plein soleil. L’homme plisse les yeux et semble regretter de ne pas avoir pris sa casquette en sortant. Il a un gros tatouage dans le cou, mais aucun autre tatou n’est visible, ce qui n’est pas commun, que je me suis dit, pour quelqu’un qui en a un dans le cou. En tout cas. La dame, elle, a les cheveux verts et plusieurs percings, mais elle est habillée comme pour travailler dans un petit ministère, tout ce qu’il y a de plus normal.

– … un point c’est tout. On ne va pas se mettre à changer notre façon d’écrire et de parler le français juste pour plaire à une petite minorité d’étudiants de l’UQAM, quand même!

– T’es tellement ignorant que des fois ça m’arrache les dents : tu ne sais pas que les règles sexistes de l’écriture du français avec lesquelles on nous battait les oreilles à la petite école (« Le masculin l’emporte ») ne datent que du 18e siècle ? Avant la langue était beaucoup plus égalitaire !

–  Tu parles toujours du 18e siècle comme si c’était tout récent. Pourtant…

Ce qu’ils disaient m’intéressait tant que j’ai trop ralenti. Ils m’ont aperçu et ils ont commencé à parler plus bas. Naturellement, je me suis mis à siffler et j’ai fait semblant de répondre au téléphone. « Oui, excuse-moi chérie, je n’ai pas dégelé le poulet. Dis donc, qu’est-ce qu’on va manger pour souper ? Tu veux que je ramène quelque chose ? »

***

Deux hommes que j’ai identifiés comme des militants cyclistes et environnementalistes – je ne vous dirai pas pourquoi, vous allez écrire des bêtises au journal – semblent fâchés, mais fâchés ensemble. Ils hochent continuellement la tête d’un commun accord. Au-dessus d’eux à quelques mètres seulement, un grand pic est perché. Ils en font peu de cas. 

– … terrible. Il faut absolument que ça cesse.

– Entièrement d’accord. Si on veut contrer le phénomène de l’étalement urbain, il faut que les gouvernements fassent preuve de plus de volonté politique. Ça va déplaire, mais il faudra défaire des autoroutes…

Le grand pic est parti, sans doute ennuyé par cette morbide conversation sur l’étalement urbain. Ça m’a donné courage, je me suis enfui. Avant de retourner chez moi, j’ai fait une petite course.

– T’as oublié de dégeler le poulet.

– Je sais, je sais…

– Qu’est-ce que c’est que ça?

– C’est du vermouth, chérie, ça s’appelle « Rouge gorge ». 

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