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Quand les hommes s’en mêlent : la triste affaire Blanche Garneau

Blanche Garneau

Lorsque Blanche Garneau terminait ses journées de travail dans un petit magasin de thé situé dans le quartier Saint-Sauveur, elle prenait l’habitude de traverser le parc Victoria pour rejoindre son domicile de l’avenue François 1er. Elle vivait avec ses parents adoptifs et chérissait le rêve de se rapprocher de Dieu chez les religieuses.

Par Julien Renaud-Belleville

Le 22 juillet 1920, fidèle à ses habitudes, elle emprunte les sentiers pédestres du parc vers 19h, mais ne rejoindra jamais sa petite bourgade. Quelques jours plus tard, dans son édition du 26 juillet, Le Soleil titre en dernière page « Cette jeune fille a-t-elle été enlevée? ».

La découverte du corps

La découverte du corps se fait 3 jours plus tard par le malheureux Albert Latulippe.

Ce jour-là, le jeune homme se rend au parc Victoria pour y cueillir de simples cerises, et au détour d’un buisson, trouve plutôt un corps inanimé recouvert d’un drap, celui de Blanche Garneau. Le pauvre garçon oublie rapidement ses cerises pour alerter le constable Mallard, gardien du parc.

La nouvelle se répand et crée avec raison une vague d’indignation populaire puisque le crime est sordide : elle aurait été violée puis assassinée, possiblement par étranglement.

Les rumeurs

Les jours qui suivent la découverte du corps laissent la place aux rumeurs. Dès le 2 août, certaines parlent déjà d’arrestations.

Le 6 août 1920, Le Soleil parle même d’une « clairvoyante » qui aurait découvert, par la voie du spiritisme, l’assassin de Blanche Garneau. Un mois plus tard, l’affaire prend une tournure inusitée : la police de Québec reçoit de nombreuses lettres anonymes contenant des informations troublantes : des hommes du gouvernement, bien placés, et des éditeurs de journaux sont ciblés. Ils protègeraient le ou les meurtriers.

Louis-Alexandre Taschereau, alors premier ministre et procureur général, veut sévir contre les auteurs de ces fausses informations.

Ironiquement, l’enquête du meurtre de Blanche Garneau devient aussi une chasse aux anonymes qui minent la crédibilité des notables libéraux.

Néanmoins, Raoul Binet et William Palmer sont accusés du meurtre en février 1921. Leur procès, qui se déroule à l’automne 1921, est un échec : la Couronne est incapable de prouver si les deux présumés meurtriers se trouvaient à Québec le jour du crime. Ils seront déclarés non-coupables.

Les rumeurs reprennent au cours de l’année 1922.

La thèse voulant que les puissants protègent les meurtriers fait même son chemin dans une assemblée conservatrice lors des élections partielles de Labelle en août 1922. Deux députés libéraux sont ciblés par la foule conservatrice qui les accuse de tremper dans l’affaire.

Taschereau joue le profil bas : les ragots politiciens de M. Arthur Sauvé, chef du parti conservateur, ne l’intéressent pas. Cependant, à l’autre bout du Chemin du roy, un obscur directeur de journal va faire sortir Taschereau, pour une rare fois, de ses gonds.

L’affaire John Roberts

John Roberts est l’éditeur du journal anglophone montréalais The Axe qui verse dans le sensationnalisme et les titres chocs.

Dans le 4e numéro, on peut y lire « Resign! Resign! Mr. Taschereau ». L’article cible le premier ministre dans ses qualités de procureur général. L’affaire Blanche Garneau ne serait pas résolue en raison de son incompétence.

Roberts, le 27 octobre 1922, va encore plus loin. Il répand la rumeur, sans les nommer, que deux députés auraient possiblement tué Blanche Garneau. Il demande l’instauration d’une commission royale publique pour faire la « lumière » sur l’affaire.

Pour Taschereau, c’en est trop et il fait comparaître Roberts devant la législature pour outrage à celle-ci. Le polémiste montréalais ne pouvait s’attaquer impunément aux représentants de la nation.

L’Assemblée législative déclare Roberts coupable et le condamne à la prison pour le reste de la durée de la session parlementaire. Cependant, pour Taschereau, la peine est trop légère. Il introduit le bill 31, une loi spéciale, qui instaure une commission publique sur le meurtre de Blanche Garneau et qui condamne John Roberts à 1 an de prison.

Les commissaires de l’enquête royale ne trouveront pas de nouveaux éléments sur le meurtre et blanchiront le gouvernement de tout soupçon, incapables de prouver tout complot politique. Un de ceux-ci parlait même de l’existence d’un « Club de vampires » composé de la jeune élite de la capitale qui organisait des soirées aux mœurs légères.

À la lumière de ces péripéties rocambolesques, on se demande toujours pourquoi cette sombre affaire, détournée en cirque d’égos et d’orgueil, n’a toujours pas trouvé les écrans québécois.

Violée et assassinée, Blanche Garneau a aussi été la victime de ce triste jeu politique.      

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