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Douter àVélo

La station àVélo sur la 3e Avenue.La station àVélo sur la 3e Avenue.

C’était samedi. Une assez belle journée de fin de semaine, avec rien à faire sauf d’essayer d’allonger des minutes qui ont l’air de passer trop vite. Je ne songeais pas que l’impossible me guettait comme l’oiseau sa proie.

Et pourtant il m’a surpris une première fois, alors que je flânais au parc d’Iberville. Une deuxième, plus tard dans la journée, quand je me recueillais sur le site de l’ancien marché du Vieux-Port – c’est que j’aimais y acheter des fleurs et des fruits de mer dans l’ambiance de type « marché » qui manque un peu quand même à l’autre place. Puis je l’ ai aperçu une troisième fois au parc Victoria.

J’ai eu l’impression qu’on se moquait de moi. Par trois fois, j’ai vu des convois de quatre personnes, en parfaite file indienne, le sourire aux lèvres, le casque parfaitement ajusté.

C’étaient des « utilisateurs » du nouveau service de vélo-partage « àVélo ».

Bien sûr, j’avais vu sur internet quelques enthousiastes s’exciter démesurément de l’arrivée de ces bornes futuristes dans nos rues. Mais il me semblait que ce n’était chaque fois qu’une excitation abstraite, qui célébrait davantage l’idée des progrès de la « mobilité active » que l’arrivée réelle de ces petits vélos de grand-père. 

Témoin sceptique de cet enthousiasme, je me demandais secrètement qui vraiment se donnerait la peine d’emprunter ces appareils à assistance électrique.

Ne leur manque-t-il pas tout ce qui plaît dans le vélo ? La possibilité d’aller loin sans se soucier du temps qui passe, celle de s’arrêter n’importe où. Celle aussi – j’espère que je ne surprendrai personne – de faire des efforts, de sentir son cœur qui s’emballe et d’avoir les mollets et les cuisses au bord de l’explosion. Pas longtemps, juste quelques secondes avant de se reposer.

En fait, la tarification des « àVélos » est un peu contraignante, juste assez pour ruiner un sentiment de liberté naissant. Il en coûte 6$ pour 30 minutes, puis 25¢ par minute supplémentaire. On peut aussi prendre un abonnement mensuel, à 35$ pour le mois, plus 25¢ par minute chaque fois qu’un trajet dépasse la demi-heure. 

Ce n’est pas un vélo pour faire des promenades. Oubliez la romantique excursion à Lévis : pas le temps de prendre le traversier, d’aller niaiser de l’autre bord, voire de se laisser tenter par une bière au Corsaire avant de revenir à Québec. Pour ça, on peut s’acheter un très honnête vélo à 200 $ sur Kijiji, et jouir d’une complète liberté : promenade, niaisage, bière et le reste.

Ce sont des vélos pour aller « du point A au point B », voilà tout. Parfaits pour le monde qui vit proche d’une station, et qui travaille proche d’une autre. Ou encore pour les touristes pressés. 

Ce sont aussi des vélos qui servent à opérer une « petite révolution », pour reprendre les mots d’Étienne Grandmont d’Accès Transport Viable. Ce projet permettrait selon lui d’« augmenter significativement la part modale du vélo » sur les routes. Certaines personnes ont vraiment du talent pour trouver des formules qui font rêver.

Tout ça pour dire que je n’arrivais pas exactement à saisir ce que faisaient ces originaux, en parfaite file indienne et le sourire aux lèvres, sur les pistes cyclables en fin de semaine. 

J’allai donc le demander, en courant, au dernier groupe que je croisai. Même à bout de souffle, je réussis à souffler quelques mots.

– Aye! Qu’est-ce que vous faites là ?

– Euh… du vélo…

– Oui, oui. Mais pourquoi est-ce que vous avez pris les « àVélos » ?

– Ah! Nous vivons en face d’une station, et nous avons voulu les essayer. Nous sommes en congé, alors pourquoi pas?

– Vous aimez ça?    

– C’est pas mal, c’est pas forçant pantoute. Et je crois que s’il pleut, le garde-chaine du pédalier sera apprécié, les garde-roues aussi. Les vélos sont vraiment bien faits, je pense.

– Et est-ce que vous allez les utiliser à d’autres occasions ?

– Bien franchement, j’étais curieux d’en essayer un. Mais j’ai déjà un vélo, je vais au travail à pied pendant l’été, et en autobus pendant l’hiver. Comme ça coûte assez cher, je ne me permettrai pas cette folie toutes les semaines. 

Les autres se contentèrent d’acquiescer d’un hochement de tête signifiant qu’il n’y avait rien à ajouter. L’un des membres du convoi, qui était resté silencieux tout au long de l’échange et qui me lorgnait d’un regard peu rassurant, prit alors la parole. Il portait encore son joli casque, mais il n’était plus du tout souriant. 

– Si ça ne vous dérange pas, cher monsieur, on va y aller. Dans 4 minutes, on devra payer des frais supplémentaires et on a déjà perdu suffisamment de temps à répondre à vos questions.

Ils repartirent à toute allure. C’est une blague. S’ils étaient un peu plus pressés, ils n’allaient pas vraiment plus vite qu’au moment où je les ai arrêtés.

Ces gens n’étaient ni des touristes, ni des travailleurs allant vers une destination précise, ni des révolutionnaires, mais de simples curieux. 

Une fois passée la curiosité, qui donc utilisera ces vélos ? Des cyclistes ? Jamais de la vie. Des jeunes ? Faites-moi rire. Quelques touristes ? Peut-être.

Alors… je suis encore perplexe.

On nous dit que le projet coûtera 26,5 M$ sur 10 ans, et qu’il y aura à termes 1000 vélos stationnés dans une centaine de stations éparpillées à travers la ville.

Appelez-moi Monsieur le gérant d’estrade, mais à ce prix, au lieu d’une petite poignée de bicyclettes, on aurait pu en distribuer quelques milliers.

Je laisse aux spécialistes le soin de déterminer si cela pourrait augmenter la part modale du vélo.  

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