Dans la soirée du 10 octobre 1836, vers 20h30, Antoine Belleau dit Larose est assassiné par des brigands nocturnes alors qu’il se rendait à son domicile. Décrit comme un citoyen du faubourg Saint-Jean paisible et en règle, Belleau travaillait comme compagnon boulanger pour le compte de M. Turner. Les rapports parlent d’une attaque qui aurait été perpétrée près de la Porte Saint-Jean.
Par Julien Renaud-Belleville, historien
Le même jour, The Quebec Gazette rapportait dans son édition du 10 octobre 1836 qu’un colporteur de 60 ans, André Lapointe, avait été attaqué le 8 octobre par une dizaine de personnes alors qu’il traversait un bois près de Sillery. La bande qui campait à cet endroit avait attaché les pieds et les mains de Lapointe avant de lui voler sa marchandise et une partie de ses vêtements. Prisonnier pendant près de trois heures, le pauvre colporteur a pu finalement s’évader et sonner l’alarme à Sainte-Foy.
Un contexte inquiétant en amont
Ces deux évènements de nature criminelle participent alors à un contexte d’insécurité publique qui mine les esprits de la cité de Québec dans les années 1830. Au-delà de la criminalité, deux éléments engendrent peurs et inquiétudes qui seront relayées par les principaux journaux de la ville.
En 1832, le choléra se répand en Europe avant d’officiellement toucher Québec le 11 juin. Ce jour-là, dans des mots nous sont aujourd’hui curieusement familiers, le Bureau de la Santé fait la triste annonce aux citoyens : « C’est le pénible devoir du Bureau de la santé d’annoncer au public l’apparition du choléra asiatique en cette cité et les environs » (Le Canadien, 11 juin 1832).
Alors que le choléra se propage dans les rues de Québec, l’immigration massive de colons des îles britanniques inquiète aussi la population. Ce sentiment n’est pas nécessairement lié à une « peur » stricte des nouveaux arrivants, surtout Irlandais, mais bien à une crainte associée à la diffusion du choléra.
En effet, ces pauvres immigrants s’entassaient le plus souvent : « […] dans des bâtiments [lire bateaux] où ils manquent souvent de provisions, de secours médical, ce qui occasionne des maladies […] » (Le Canadien, 21 janvier 1835).
Les peurs nocturnes
Alors que la peur du choléra s’estompe peu à peu, la criminalité s’empare des esprits à partir de 1835.
Dans son édition du 12 octobre 1836, Le Canadien demande si les citoyens de Québec pourront dorénavant sortir la nuit sans craindre de se faire assassiner.
C’est que le meurtre du boulanger Antoine Belleau provoque colère et indignation. Les journaux sautent sur l’occasion pour critiquer l’absence de guets et de sentinelles nocturnes, notamment autour de la Porte Saint-Jean qui pouvait devenir un vrai guet-apens pour les citoyens.
En effet, au printemps 1836, quelques mois avant le meurtre de Belleau, les guets de nuit et l’éclairage noctorne avaient été abolis après le non-renouvellement de la charte municipale. La création du comité du guet et de l’éclairage remontait à 1833 lorsque la ville avait obtenu sa première charte municipale.
Sans les patrouilles nocturnes et l’éclairage, les journaux de la ville donnent l’impression d’une ville en proie à la violence dès que le jour tombe.
Le rétablissement du guet
Rapidement après le meurtre de Belleau, les autorités municipales planchent sur des solutions pour rétablir les guets nocturnes ainsi que l’éclairage des voies publiques.
Deux options s’offrent aux autorités : soit de pratiquer un emprunt bancaire pour financer le retour du guet et de l’éclairage qui devra être remboursé par le biais d’une taxe, ou bien, de profiter du zèle de certains citoyens pour construire une patrouille salariée sous l’autorité de la ville. Que ce soit n’importe quelle option, Le Canadien est clair : « Tout ce qu’il faut, c’est de l’argent ».
Alors que les vols et la criminalité semblent être dans toutes les conversations citoyennes, Le Canadien annonce la rumeur que les patrouilles seront bientôt rétablies.
Le 19 octobre 1836, on apprend que la basse-ville et la haute-ville auront une patrouille nocturne salariée alors que les faubourgs auront recours à des patrouilles volontaires pour assurer la sécurité des nuits.
Avec le rétablissement des patrouilles, les journaux parlent d’un calme retrouvé. Le 7 novembre 1836, Le Canadien décrit des nuits paisibles, ponctuées d’arrestations d’individus en état d’ébriété. La boisson prenait dorénavant la place des vols et des meurtres sordides.
Comble de l’ironie, avec ce rétablissement nocturne, certains vagabonds et brigands courbent l’échine et transferts leurs activités au bout du chemin du Roy à Montréal.
Le journal montréalais The Vindicator averti alors ses lecteurs qu’un groupe de vagabonds composé de 25 à 30 individus s’aventurait vers Montréal en quête de nouvelles victimes.
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