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Daniel D. Jacques sur le problème de la vie politique québécoise

Daniel D. JacquesCrédit photo : Daniel D. Jacques.

« La fin est proche. Juste derrière nous. » Jean-François Lisée, Sortie de secours

Dans quel contexte avez-vous écrit La Fatigue politique du Québec français

« J’ai publié dans la revue Argument en 90 un certain nombre d’articles concernant la question québécoise. C’était une préoccupation que nous avions tous, soit de réfléchir sur le destin du Québec. En 2008, j’ai décidé de réunir mes articles qui tentent de comprendre pourquoi le nationalisme a échoué ou pourquoi il ne s’est pas complètement réalisé. À cette époque, je réfléchissais autour des textes d’Hubert Aquin, surtout « La fatigue culturelle du Canada français ». 

L’intention de mon livre, qui effectue deux déplacements par rapport au livre d’Aquin, c’est de dire que le problème est lié à la culture politique du Québec. Il y a eu une incapacité collective et des élites à penser la politique et la liberté politique. C’est ce qui aurait causé l’échec et le déclin du nationalisme québécois. On pensait la nation à travers la question de la persistance de la culture. Moi ce que j’essaie de défendre dans mon texte, c’est qu’on a jamais envisagé que la nation est avant tout un rassemblement politique pour la liberté. Ma thèse est qu’on a pas été capable de penser la politique qui consiste à d’abord construire un corps politique qui permet ensuite la création d’une culture. » 

Au fond, vous pensez la différence entre ce qui relèverait d’un côté de la politique, et de l’autre du politique. Le politique serait en ce sens le fondement de l’existence historique des peuples qui n’aurait pas été pris en charge par les québécois. 

« Effectivement. C’est comme si notre situation de peuple marginalisé dans l’histoire nous aurait rendu difficile la compréhension du politique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de politique. On a eu la chance d’avoir un État provincial qui nous a permis d’acquérir une certaine consistance comme peuple. Mais en général, il y a eu une incapacité à penser le politique, à quelques exceptions près. Je pense ici à Pierre Bourgault qui a toujours envisagé la vie politique du Québec à partir de la question de la liberté. 

Quand on s’intéresse à ceux qui ont élaboré le projet du nationalisme québécois, on voit qu’il y avait déjà des éléments de la défaite, des angles morts qui expliquent que le projet a avorté d’une certaine façon. »

Est-ce que certains de vos constats seraient différents aujourd’hui par rapport en 2008?

« Il me semble que ce que je propose dans mon livre nous permet encore de lire l’actualité. Il y a un abandon aujourd’hui qui répond à l’idée d’une fatigue politique ; on a pas cherché à donner une réponse à la question québécoise, par exemple en modifiant les institutions ou en prenant un vote politique déterminant. On a décidé d’oublier la question. C’est ça la fatigue. On cherche à résoudre la question par une dissolution de la question. On a pas assumé par exemple après le premier référendum de fermer quelque chose comme une période de l’histoire et d’en ouvrir une autre. Il y a une espèce d’épuisement ; une révolution ne s’étale pas sur 50 ans, ça se passe un moment donné. On avait un esprit révolutionnaire qui est resté léthargique. » 

Il y a vraiment quelque chose de dramatique, comme vous le dites vous-même, dans cette situation historique et politique. 

« C’est comme si pendant des générations on s’était tenu à la marge du pouvoir fédéral en se repliant sur l’Église et là, on est dans un pays sans y être. On dit au fond « la politique d’Ottawa, c’est pas vraiment notre politique » ou en envoie le Bloc qui est une espèce d’aberration politique totale. Le Bloc fait perdurer une espèce d’ambiguïté : on est canadien, mais on l’est pas vraiment. C’est un signe de fatigue et d’incapacité à prendre acte des choses. On a décidé de voyager dans l’entre-deux. » 

Dans votre livre, vous abordez aussi l’idéal des auteurs du Refus global, soit de former la société des individus. Pensez-vous que nous poursuivons encore aujourd’hui cet idéal? 

« Je pense que oui et plus que jamais, mais ce n’est pas particulier à la société québécoise. Ce qui est intéressant avec le Refus global, c’est que ce n’est pas un texte politique du tout. C’est un texte qui prône la liberté de choisir son existence qui marque une composante hyper individualiste de la Révolution tranquille et qui travaille de fond la culture québécoise. Aujourd’hui, on a des expressions brutes et décomplexées de cet individualisme. » 

Qu’est-ce qui reste aujourd’hui de cet élan révolutionnaire de la Révolution tranquille? 

« Ce qui reprend peut-être le plus cet esprit de radicalité du XXe siècle est le mouvement anti-raciste où il y a une frange qui reprend des attitudes de combat politique, comme le refus de parler à certaines personnes qu’on trouvait dans le marxisme. Pour l’essentiel, cet esprit révolutionnaire est quelque chose qui a disparu de l’horizon. On est plus dans des attitudes réformistes. Parfois, j’ai l’impression qu’on joue la révolution. Comme au théâtre ; on fait des manifestations, mais sans l’esprit de sérieux. Quelque chose n’est pas là. » 

Qu’en est-il de la légitimité du projet indépendantiste aujourd’hui? 

« Le problème, c’est que la constitution d’un corps politique indépendant nécessite une frontière et la création d’une altérité. C’est le psychodrame de plusieurs pays dans le monde aujourd’hui dont celui des québécois depuis le début. On ne peut pas fonder une nation si à quelque part on n’établit pas un écart avec les autres nations. Le problème c’est : au nom de quoi ? Pour beaucoup, la raison n’est pas claire. La liberté politique n’est pas quelque chose qui apparait avec évidence, mais ça déjà été le cas à d’autres époques dans d’autres lieux. 

Je pense que la raison de cela est l’éducation et la manière dont la culture partagée prend forme dans l’histoire. Ça dépend des circonstances et des acteurs. Pour le cas du Québec, le rôle de l’Église a été déterminant dans le sens où c’était l’État de substitution à défaut d’avoir un État politique. » 

Quelles sont les solutions possibles pour sortir de cette impasse historique?

« C’est une situation inconfortable et on ne doit pas rester là-dedans, mais je n’ai pas de solution. Est-ce que je veux qu’on redevienne une minorité qui s’assume? Pas personnellement. Mais en même temps, de se rêver une politique imaginaire et de rester à distance de la réalité, ce n’est pas non plus une solution.

J’ai en quelque sorte un parti pris réaliste. Il faut quand on se préoccupe de politique être sensible à la réalité. J’ai toujours aussi pensé qu’il faudrait faire une réforme intellectuelle et changer la manière dont on pose les questions pour ouvrir l’histoire sur autre chose. C’est ce que j’ai essayé de faire un peu dans mon travail. Mais est-ce que ça fonctionne? La question reste ouverte. »


Daniel D. Jacques nous annonce en exclusivité qu’il publiera dans environ deux semaines un nouveau livre, soit un récit d’anticipation et de science fiction ayant pour titre « California Dream : Contes postmodernes à l’usage des enfants de l’avenir » chez Liber.

Lisez notre compte-rendu du livre « La Fatigue politique du Québec français » de Daniel D. Jacques ici.

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