C’est peut-être un trait de caractère national, ou peut-être pas, je n’en sais rien.
Par Georges-Albert Beaudry
L’impression que nous faisons, au Québec, les choses à peu près me vient de temps à temps, puis elle passe sans trop laisser de trace, puis elle revient un peu plus forte qu’avant.
Ce fut le cas cette semaine en raison des récentes discussions au sujet de l’accord du participe passé. Il y a quelques jours, j’ai été très surpris de lire que « l’association québécoise des professeurs de français (AQPF) a voté en faveur d’une réforme de l’accord du participe passé ». Celui-ci, suggère-t-on, demeurerait invariable avec l’auxiliaire « avoir » en tout temps, et il se ferait toujours et sans exception avec le sujet du verbe avec l’auxiliaire « être ».
Pour nous convaincre de la pertinence de cette réforme, ses défenseurs font appel aux arguments les plus divers et les plus surprenants. On fait valoir d’abord que la révision de l’accord du participe passé est une question de « logique ».
Derrière l’apparence du raisonnement, il se révèle que cet argument en appelle plutôt à un sentiment d’indignation répandu chez les étudiants : celui que les exceptions sont inutiles, et compliquées pour rien. On résumerait ce sentiment par une sorte de syllogisme : le français, c’est une langue où il y a plein d’exceptions ; or les exceptions ne sont pas logiques ; donc, la langue serait plus logique sans ces exceptions.
C’est de cette façon qu’on justifie, par exemple, la modification de la règle d’accord du participe passé avec les verbes pronominaux, qui ont toujours l’auxiliaire « être ». Rappelons un exemple scolaire : « Elle s’est brossé les cheveux ». Dans ce cas, ce sont les cheveux qui sont brossés, et non la jeune fille qu’on imagine devant son miroir en train de se préparer pour une journée d’école. Comme le complément direct (les cheveux) se trouve après le verbe, on n’accorde pas le participe passé, et c’est « logique ». Selon la réforme au contraire, on accorderait « brossé » avec le sujet (elle), et on lirait plutôt : « Elle s’est brossée les cheveux ».
Au risque de couper les cheveux en quatre, cela n’est pas « logique ».
Le fait est qu’en parlant de logique, on veut en réalité plutôt parler de cohérence. Ne serait-il pas plus cohérent de toujours faire l’accord du participe passé avec le sujet avec l’auxiliaire « être » ? À vrai dire, cela dépend encore de ce avec quoi l’on cherche à être cohérent.
Le vrai fond de l’affaire est plutôt ailleurs. Il n’est ni plus logique, ni plus cohérent en soi d’accorder les participes passés comme le proposent les tenants de cette réforme. Mais c’est plus facile.
C’est d’ailleurs un argument tout à fait explicite d’Antoine Dumaine, vice-président aux communications de l’AQPF, qui était de passage à l’émission Tout un matin à Radio-Canada jeudi. Il semblerait qu’on apprend les règles d’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir ainsi que les exceptions qui concernent les verbes pronominaux en quatrième et cinquième secondaire seulement. Selon M. Dumaine, il serait difficile pour les étudiants d’apprendre ces règles, pour deux raisons : (1) les occasions de mettre concrètement en pratique ces règles dans des productions écrites ne sont pas suffisamment fréquentes, et cela fait que les étudiants ne peuvent pas assez s’exercer ; (2) au moment d’apprendre ces règles, il est difficile pour les enseignants de construire sur des acquis antérieurs, notamment parce qu’au primaire, on remet à plus tard l’apprentissage de l’accord du participe passé avec « avoir ».
On s’attendrait ainsi à entendre les professeurs de français demander une réforme différente de celle qu’ils proposent. Ne devrait-on pas, en effet, commencer plus tôt l’apprentissage des règles d’accord des participes passés, ou du moins, mieux jeter les bases de ces apprentissages au primaire afin que ce soit moins nouveau pour les étudiants quand vient la fin du secondaire ? Mais non : on ne propose rien de moins que de simplifier la grammaire.
Au risque de sombrer dans l’abstraction, je dirai ceci. Il me semble que cette attitude est fondée dans une opinion largement partagée à notre époque. L’essence du langage, dit-on, repose dans la communication. Pour ma part, je ne connais pas l’essence du langage, comme je ne connais pas non plus l’essence de quoi que ce soit. Voilà une belle porte ouverte à défoncer : j’entrevois la possibilité qu’une langue soit plus qu’un « outil de communication ». On peut au moins dire que le langage est, de surcroit, l’expression plus ou moins exacte, le miroir plus ou moins fidèle, de la pensée et de la personnalité. Il y a près d’un siècle, Jules Fournier écrivait que le langage est pour chacun de nous « l’homme même, ave toutes les qualités et tous les défauts de son esprit, de son tempérament, de ses nerfs, de sa sensibilité ».
Il est « l’homme même », et voilà pourquoi mon impression étrange m’est revenue cette semaine. Car une réforme des règles de grammaire serait, en définitive, la consécration de la manière d’être qui est la nôtre, c’est-à-dire de l’insouciance, du laisser-aller, de l’à peu près.
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