Je n’ai pas perdu de poids, je n’en ai pas pris non plus, il faut bien se rendre à l’évidence : j’ai couvert la campagne électorale à vélo pour rien.
Le pire, c’est que j’ai failli ne pas finir. Le 1er novembre, une fois les bollards retirés des voies cyclables aux quatre coins de la ville, la vie des cyclistes se complique considérablement.
De tout l’été, je n’ai eu que des échanges courtois, je dirais même caricaturalement courtois, avec les automobilistes. « Après vous. – Non, je vous prie, après-vous. – Mais, non, faisaient-ils tous de la main. Vous êtes un usager vulnérable. Prenez votre place. – Ah! Merci mon bon monsieur. Si seulement tout le monde était comme vous! – Ce n’est rien, mon brave. Passez une excellente journée, et que tous les membres de votre famille vivent longtemps et dans les faveurs de la fortune. »
Juste le 1er novembre, je me suis fait klaxonner deux fois ; une des deux, on m’a dit de « ranger mon cr*** de bicycle, ce n’est plus le temps ».
L’autre agacement majeur pour ceux qui continuent de se déplacer à vélo après le 31 octobre, c’est que les belles voies qui nous étaient réservées depuis le mois de mai se transforment du jour au lendemain en espaces de parking. Ce ne serait pas si mal si ça prenait quelques jours aux automobilistes pour le réaliser. Mais non, ça se fait instantanément, et il n’y a plus de place pour rouler à part le beau milieu du chemin.
À quel endroit pouvaient bien se trouver tous ces chars avant le 1er novembre ?
Anyway, si vous avez lu les chroniques précédentes, vous êtes au courant que je ne suis pas trop fort sur les revendications. Mais il y en a une en laquelle je me reconnais. Ce ne serait pas si mal, il me semble, de prolonger la période d’ouverture des pistes cyclables jusqu’au 1er décembre.
Ma dernière étape – Dans les grands Tours comme le Tour de France, la toute dernière étape n’a généralement aucun enjeu. Il s’agit tout simplement d’un tour de la victoire, qui permet au gagnant de savourer l’instant et de célébrer avec le peloton et les membres de son équipe.
De même, ma dernière semaine à couvrir la campagne électorale était à peu près sans enjeu. N’avais-je pas prouvé depuis longtemps que j’étais capable de courir d’un point de presse à l’autre en vélo (quitte à demander à ma collègue Sophie Williamson d’aller en voiture aux évènements auxquels il m’était physiquement impossible de me rendre, malgré toute la bonne volonté du monde) ? Je n’avais qu’à finir la semaine pour crier victoire, et pour être enfin en droit d’espérer avoir mon nom dans les livres d’histoire, dans quelques années.
Bref, je me suis amusé à parler de mes exploits inutiles avec un peu tout le monde, des politiciens, des collègues journalistes, des attachés de presse. Je ne rapporte ici que les conversations ou les situations qui méritent d’être retenues par la postérité.
***
Lundi, je me suis trouvé en un lieu que je ne pensais jamais visiter : la rôtisserie Scores près du Cineplex Odéon Beauport, où avait lieu un « impromptu de presse » avec Marie-Josée Savard. Le matin même, j’étais au parc de l’Artillerie pour écouter Jean Rousseau. Au moment de quitter le parc, je demandai à Dominique Lelièvre, très bon journaliste au Journal de Québec, s’il allait se rendre « au truc à Savard ».
– Oui, répondit-il. Tu ne vas quand même pas y aller à vélo ?
– Certain! À tantôt.
Bourg-Royal, c’est une bonne côte avec pas mal de voitures qui roulent pas mal vite, mais je suis arrivé en un morceau. En moe voyant, Dominique m’approche.
– Je suis vraiment impressionné.
– C’est pour ça que je fais ça, Dominique.
En toute honnêteté, je n’ai pas dit ça pantoute, mais ceux qui ont lu les autres chroniques savent que je ne m’en fais pas trop avec ça.
Au même moment, Lara Émond, l’attachée de presse de Marie-Josée Savard, entre dans la conversation. Elle me demande elle aussi si je suis vraiment venu à vélo. On ne sait pas toujours quoi dire aux gens qu’on voit souvent, mais qu’on ne connait pas du tout, alors on se jette sur la seule chose qu’on connait à leur sujet, c’est naturel.
– Oui, répondis-je, d’un ton fier de mon exploit.
– Wow, tu dois être vraiment habile. Tu as sans doute des trucs ?
– Ben… je roule sur le bord du chemin. Ça se limite pas mal à ça.
***
Mercredi, c’était une maudite grosse journée. À 13h30, j’avais la tâche de couvrir une annonce de Bruno Marchand, à son local électoral sur la 1ere Avenue à Limoilou. Puis, à 14h, je devais être au local de Marie-Josée Savard sur la rue Raoul-Jobin dans Saint-Sauveur, pour une autre annonce. Comme je savais que j’aurais à pédaler assez sérieusement, j’ai pris un double-allongé avant de partir, avec un peu de lait dedans parce que je ne suis pas un sauvage.
Est-ce qu’on peut encore écrire ça, « qu’on n’est pas un sauvage » ?
En tout cas, le « truc à Marchand » s’est terminé à 14h05. J’étais prêt à rentrer chez moi, dépourvu de tout espoir d’arriver à temps, mais j’ai quand même interpellé Olivier Lemieux, le très bon journaliste de Radio-Canada, et Dany Côté, la très bonne journaliste de TVA, afin de découvrir si Marie-Josée Savard comptait les attendre. Ils m’ont confirmé que oui, alors je me suis immédiatement lancé dans une course imaginaire avec les vans de la télé.
Jamais je ne m’étais autant donné sur le vélo, vous auriez dû me voir, en danseuse d’un bout à l’autre du trajet, la patate qui pompait et les yeux plein de sang. Arrivé au local d’Équipe Marie-Josée Savard, je soufflais comme un cheval qui a trop travaillé, tout en affichant un air de triomphe qui n’est pas passé inaperçu.
– Ah! Gabriel, tu es arrivé avant les autres qu’on attend. T’es pas à vélo toujours ?
– Bien… sûr.. répondis-je en dissimulant au meilleur de mes capacités que je cherchais mon souffle.
– Bravo en tout cas. Il n’en reste pas gros, continue.
Quelques minutes plus tard, quand sont arrivées les vans de la télé, j’ai tout de suite compris qu’elles n’avaient pas participé à la même course imaginaire que moi. J’ai senti poindre en moi un vague sentiment de gêne, mélangé à la honte qu’on a toujours quand on ne se comporte pas exactement comme un adulte alors qu’on est entouré de gens sérieux.
Puis je me suis dit que j’avais gagné et que c’était aux autres d’être gênés, certainement pas à moi.
G.C.
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