Ç’a été comme un film jusqu’à la fin, un suspense bien ficelé. On mangeait du pop corn, excité, en attendant la chute.
La conclusion n’est pas surprenante, du moins si on se fie aux sondeurs qui ont eu parfaitement raison : au coude-à-coude. Les gens déçus l’auront été parce qu’ils vivaient dans leur chambre d’écho qui fausse les données. Ça s’est décidé sur quelques centaines de voix sur plus de 118 000 (total pour Marchand et Savard). C’est exceptionnel. Vraiment.
Marie-Josée Savard aura été mairesse pendant quelques heures, le lièvre se faisant coiffer à la ligne d’arrivée par la tortue. Évidemment, pour l’orgueil de Radio-Canada, c’est tout un coup : ce n’est pas la première fois qu’on lui répond « rigueur, rigueur, rigueur! », comme l’a fait le chef d’antenne Pierre Bureau, de TVA, déjà dans le passé. L’envie trop folle d’être la première à annoncer les vainqueurs a poussé, encore une fois, la station à se prononcer à partir du vote par anticipation, essentiellement. Puisqu’en général, la tendance se maintient, c’était, en principe, un pari pas si risqué. Mais, la tendance s’est modifiée. Ça arrive, c’est pas comme si Radio-Canada n’avait pas l’habitude des soirées électorales…
Bruno Marchand est donc maire et hérite d’un casse-tête phénoménal. On aurait voulu écrire un scénario épouvantable pour lui qu’on n’aurait pas fait mieux que la réalité : sa propre élection est très fragile. Il récolte 32% sur une participation qui devrait tourner autour de 50%. En clair, ça veut dire qu’à peine 17% des électeurs ont directement voté pour lui. C’est, en gros, 59 580 voix d’un côté et 124 762 de l’autre. C’est le contraire des coudées franches. C’est une camisole de force.
La camisole est d’autant plus forte qu’il est minoritaire au conseil : il n’a que 6 conseillers dans son équipe, les autres sont tous des camps adverses. C’est même sa rivale à la mairie qui a le mieux fait avec 10 sur 21, alors que Jean-François Gosselin se retrouve avec 4 conseillers.
Constat? Bilan? Jamais on n’aura vu (en tout cas dans l’histoire récente) une ville aussi divisée. C’est incroyable. Comment interpréter ce vote? La tâche est à la hauteur du mandat à la mairie : c’est complexe et pas clair. Quel est l’appui du tramway? On a la ville-centre, encore, et les banlieues, avec une sorte de division par arrondissement, ou presque. C’est morcelé au possible. En somme, Marchand hérite d’une ville en pièces.
On n’aura pas d’explications précises et complètes aussi rapidement. Mais, on peut imaginer que les dernières années ont été si compliquées à suivre que les gens n’ont pu se faire une idée claire sur les enjeux. Pour ma part, j’ai déploré le fait que la campagne n’a jamais vraiment eu l’air d’une campagne d’une capitale, mais plutôt d’un gros quartier. On n’a jamais senti Québec, comme telle. C’est quoi son projet? Qui est-elle? On ne le sait pas, on ne le sait plus. En tout cas, les électeurs n’ont pas l’air de le savoir, faute de message clair.
La greffe entre la vieille ville et les banlieues n’a visiblement pas encore fonctionné, 20 ans plus tard, et même certaines parties se détachent. Un bordel sans nom. Que faire avec tout ça? C’est le défi des élus et du nouveau maire qui devra apprendre son métier en pareille circonstance.
L’ère Labeaume est donc officiellement terminée. On peut lui rendre hommage, mais cette élection permet un constat troublant : il laisse peut-être une ville forte et fière, mais il ne laisse certainement pas une ville unie. Ou encore, c’est peut-être justement sa force qui aura masqué les fractures, tout ce temps. Allez savoir!
C’est le temps, les sociologues et les politologues qui nous le diront…
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