Justine McHugh, travailleuse sociale pour Deuil-Jeunesse, fait le bilan des défis et des difficultés de vivre la maladie, l’abandon ou la perte d’un proche dans un contexte pandémique.
Deuil-Jeunesse est un organisme de bienfaisance d’interventions professionnelles qui vient en aide aux jeunes et aux familles qui vivent la maladie grave, la disparition ou la mort d’un proche ou des pertes liées à la séparation parentale, l’abandon ou l’adoption.
Justine McHugh travaille pour Deuil-Jeunesse depuis 13 ans. En plus de faire de l’intervention directe auprès de la clientèle, elle est aussi coordonnatrice clinique.
Les effets de la pandémie sur la santé mentale
Il n’est plus étonnant, après maintenant deux ans d’expérience pandémique, de parler d’une augmentation des problèmes de santé mentale. Radio-Canada a d’ailleurs publié un texte très détaillé sur le sujet en mars dernier. Mais qu’en est-il de la santé mentale des citoyens par rapport aux conséquences directes de la maladie, soit notre manière de vivre le deuil et la perte ?
« On a vu beaucoup d’impacts, débute Justine McHugh. Ce qu’on constate, c’est une augmentation importante du stress et de l’anxiété chez nos jeunes et leurs parents, autant face à la COVID que face aux mesures sanitaires et au confinement, par rapport au fait que la vie n’est plus la même. »
Elle explique aussi que la crainte de transmettre la COVID à une personne vulnérable ou de perdre un membre de la famille infecté par la COVID a contribué à cette hausse de l’anxiété.
« On observe aussi les effets de l’isolement et des contacts limités dans certains moments critiques, poursuit Justine McHugh. Dans le cas de décès, les funérailles n’étaient pas nécessairement possibles. Il manquait aussi le soutien social qui peut être reçu quand les gens ont besoin d’aide ou de se changer les idées. »
Bien que l’organisme ne soit pas là pour s’occuper de ce genre de problème, la travailleuse sociale affirme avoir observé une diminution importante de la motivation scolaire. Elle note aussi les effets néfastes de ne plus pouvoir pratiquer de sports ou de loisirs.
« Je pense à nos jeunes qui jouent au hockey, précise Justine McHugh. Ça peut être une soupape pour vivre certaines émotions, pour vivre des bons moments. Les jeunes se raccrochent à certaines choses qui vont bien dans leur vie et si on les prive de ça, ce n’est pas évident. »
L’impact du confinement sur le vécu du deuil
Justine McHugh explique que la pandémie a « tellement pris de place » que plusieurs personnes avaient l’impression que leur deuil était relayé au deuxième plan, « comme s’ils n’avaient pas l’espace pour en parler ».
« Dans les salons funéraires, la capacité était limitée, ajoute-t-elle. Il y a des gens qui n’ont pas pu assister au rite funéraire, donc c’est comme s’il leur manquait un morceau important pour leur processus de deuil. »
La travailleuse sociale explique qu’ils ont dû être créatifs pour créer leurs propres « rituels maison », pour « leur permettre de dire au revoir à la personne décédée ».
« Dans un contexte où il y a beaucoup de souffrance, ce n’est pas non plus évident de faire le choix des personnes exclues des funérailles, ajoute-t-elle. Ça prive d’un certain soutien moral et émotif par leur absence. »
Par ailleurs, lorsque les rites étaient reportés, « certaines personnes sentaient que tant que ce moment ne serait pas passé, il leur manquerait quelque chose pour avancer dans le processus de deuil ».
Justine McHugh ajoute à ce compte l’isolement. « Si j’ai besoin d’aller au restaurant pour me changer les idées et que je n’y ai pas accès, et bien c’est difficile, affirme-t-elle. Si je n’ai pas le droit de recevoir des gens, ça complexifie l’aide que je peux recevoir. Les gens se sont retrouvés confrontés à eux-mêmes. »
Nouvelle manière de penser le deuil?
Sur une note plus optimiste, on peut se demander si la pandémie n’a pas permis de repenser la manière de vivre la mort d’un proche. Est-ce que certaines manières de s’adapter au contexte sont là pour rester ?
Justine McHugh explique que certaines personnes ont trouvé la créativité nécessaire, soit par l’utilisation des technologies ou l’invention de rituels, de vivre leur perte. Elle ajoute que les gens ont « inventé leur propres traditions ».
« Je pense à une jeune qui voulait souligner l’anniversaire de décès de son papa, raconte la travailleuse sociale. Elle avait l’habitude de se réunir avec les membres de sa famille et des amis. Elle a organisé une rencontre virtuelle pour ce rassemblement, avec des powerpoints et des photos. »
Par ailleurs, les salons funéraires se sont adaptés en offrant des cérémonies en ligne. Plusieurs évènements se sont aussi déroulés en nature, par exemple dans un lieu symbolique pour la famille.
Ce sont en somme des rites « moins religieux ou conventionnels », mais qui permettent aussi de « se rassembler et de rendre hommage » qui ont vu le jour. Selon Justine McHugh, le contexte a certainement permis de penser en-dehors du cadre habituel.
Est-ce que ces « innovations » dans la manière de vivre le deuil resteront ? Justine McHugh n’en est pas certaine, l’après-pandémie étant selon elle difficilement envisageable.
« Je pense qu’il y a des familles pour qui essayer des nouvelles choses leur ont fait du bien, soutient-elle. Je m’attends à ce que les gens retournent vers certains modèles plus traditionnels. J’ai l’impression qu’on va se retrouver avec un mélange des deux. »
Défi à venir : plus de situations inquiétantes
« Il faut que les gens se redonnent la place pour vivre le deuil, affirme Justine McHugh. On sent qu’il y a une fragilité présente, par le fait d’avoir perdu plusieurs points de repaire et ça va au-delà du deuil. Notre défi sera de bien accompagner nos jeunes. Ils ont perdu beaucoup d’éléments qui leur faisaient du bien. »
La travailleuse sociale pense aussi qu’on peut s’attendre dans le futur à des « effets sur le long terme ». Le défi sera selon elle d’abord de « constater », de faire un état des lieux et ensuite d’accompagner les jeunes et les familles à long terme.
« On a plus de demandes qu’on avait par le passé, explique-t-elle. Il y a des délais d’attente. Malheureusement, la prise en charge qu’on essaie de faire rapidement n’est pas toujours possible. Le délai peut augmenter la détresse et la souffrance. »
Par rapport au taux de suicide qui est une question qui intéresse beaucoup l’organisme, Justine McHugh dit qu’il est difficile de faire de véritables constats.
« Ce qu’on voit pour le moment, c’est que les tendances ne semblent pas se dessiner pour qu’il y ait une augmentation du taux de suicide, affirme-t-elle. J’oserais dire qu’il y a quand même une augmentation des tentatives chez nos jeunes. Ce qu’on voit, c’est qu’il y a une complexité supplémentaire et une intensité supplémentaire des problèmes. On voit une augmentation de la détresse : plus de tentatives de suicide ou d’automutilation. Il y a plus d’urgence d’agir. »
Les décès et la pandémie : familiarisation ou dénégation?
On peut se questionner sur les effets de la pandémie quant à notre rapport à la mort. On pourrait penser que l’omniprésence de la maladie nous en a rapproché, que nous l’avons apprivoisée davantage grâce à l’actualité. Mais peut-être aussi qu’elle est devenue encore plus étrangère qu’avant, que notre peur de mourir s’est en somme aggravée.
« Ça nous a peut-être habitué du moins à la mort par COVID, à cause des bilans quotidiens, débute Justine McHugh. Par contre, ça a mis dans l’ombre d’autres types de décès. Je ne sais pas à quel point on peut généraliser cette habitude face à la mort à d’autres contextes. »
Elle ajoute aussi qu’aucun outil n’a été donné à la population : « quoi faire et à qui adresser cette réalité ». « Ça a peut-être entraîné plus d’anxiété ou de peur qu’une acceptation ou le fait de la prendre comme faisant plus partie de la vie », poursuit Justine McHugh.
Le fait aussi que les décès soient dénombrés a peut-être aussi entraîné une certaine déshumanisation de la mortalité. « Effectivement, on ne met pas de visages sur ces gens-là, reconnait Justine McHugh. On pourrait aller jusqu’à dire que c’est une déshumanisation ou du moins, c’était très factuel tout ça. »
En somme, elle a observé davantage d’anxiété par rapport à la mortalité auprès des jeunes, et non une familiarisation. « On a plus réfléchit à la maladie et à la mort, mais je ne sais pas si c’est pour nous permettre de mieux l’appréhender », conclut Justine McHugh.
Une occasion manquée de penser notre condition humaine
On peut remarquer que de « vouloir sauver le plus de vie possible » a entraîné un certain oubli des conditions nécessaires à la vie même. La mort comme « réalité qui fait partie de la vie » s’est peut-être déréalisée au profit d’une gestion factuelle, une « pure administration des choses ».
Notre finitude individuelle ou notre caractère mortel semble avoir été nié au profit d’une gestion administrative qui repose sur la statistique. La mort passée au rouleau compresseur de la politique administrative a perdu un peu de son humanité.
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