D’où vient le bruit des cloches dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste ? C’est ce que les résidents se demandent depuis le 17 mars dernier. Il est temps de faire toute la lumière sur les derniers évènements.
Certains croient que les cloches ont sonnées à l’occasion de la fête des Irlandais, la Saint-Patrick ou que le bruit provenait de l’église Saint-Jean-Baptiste ou du quartier Saint-Roch.
D’autres ont bien ciblé l’origine du son des cloches : la bibliothèque Claire-Martin sur la rue Saint-Jean, à la tour de l’ancienne église Saint-Matthew.
Donna McEwen, sonneuse de la Guilde des sonneurs de Québec, sonne tous les mardi soirs à la chapelle Holy Trinity et environ une fois par mois à la tour Saint-Matthew. Elle pratique cette activité bénévolement depuis 2004.
Voilà donc le mystère résolu. Ce sont les huit cloches de la tour que les internautes ont entendu sonner le 17 mars dernier.
Sonner les cloches d’une église est une pratique vieille de 180 ans à Québec, mais qui étonne encore les citoyens du faubourg. L’un d’eux reconnait que « ça fait du bien à entendre, les sons de cloche ».
Mais au-delà du bruit qui ne peut être ignoré et qui, dans le cas présent, intrigue et suscite même l’intérêt de certains citoyens à devenir eux-mêmes sonneurs, comment et pourquoi sonnent-ont les cloches ?
Le début du sonnage organisé
Alors que la tradition s’était perdue dans les années 1970, au début des années 80, Pierre Chartrand, organiste de la cathédrale, relançait la tradition du sonnage de cloches et formait une équipe d’une dizaine de sonneurs.
On comptait alors parmi les membres Douglas Kitson et Kerry John qui avaient reçu les formations nécessaires pour transmettre les connaissances techniques du métier de sonneur.
Puisque sonner exige un savoir-faire complexe qui demande du temps à maitriser, la transmission des connaissances est essentielle pour toute équipe. Une guilde de sonneurs voit donc le jour en 1981 pour renouveler la tradition : le Quebec City Guild of Change Ringers.
La Guilde était au départ formé de 7 à 9 sonneurs qui se relayaient et Douglas Kitson exerçait la fonction de Tower Captain. Aujourd’hui, c’est Donna McEwen qui est capitaine.
Le rôle de la Guilde est de sonner les cloches de la cathédrale selon un système de cloches sur roues : le Change Ringing.
« Le Change Ringing est un art qui existe depuis au-delà de 400 ans, explique Donna McEwen. Ce ne sont pas des cloches que l’on trouve partout dans le monde, mais dans les endroits où les britanniques sont passés. »
Elle explique que la particularité de ce type de cloches est qu’elles peuvent tourner à 360 degrés. Les cloches se trouvent au départ descendues avec la bouche en bas. Avant de sonner, il faut donc que les bénévoles les placent à l’envers.
« On va savoir que toutes les cloches sont montées, poursuit la capitaine. La raison pour laquelle on fait ça c’est parce qu’avec le Change ringing, on change les cloches une place à la fois. On ne peut pas jouer des mélodies comme sur un piano. Les cloches pèsent au moins 400 livres et ici la plus lourde pèse 1680 livres, donc aussi lourde qu’une baignoire. C’est difficile de les changer vite de position. »
La Guilde de Québec
Actuellement, la Guilde est composée d’une dizaine de bénévoles, francophones et anglophones, de toute sorte de métiers. La Quebec City Guild of Change Ringers est la seule guilde au monde qui fonctionne en français, même si les commandes sont toujours dirigées en anglais par souci d’une compréhension générale avec les autres équipes.
« Tout ce qu’on dit pour les changements [le vocabulaire technique] est en anglais, confirme Donna McEwen. On fait ça parce que souvent des gens en Amérique du Nord viennent et on veut sonner avec eux et sonner aussi chez eux. »
La Quebec City Guild of Change Ringers fait aujourd’hui partie de la North American Guild of Change Ringers.
« Il y a la réunion annuelle au mois d’octobre qui va se faire en Caroline du Nord, précise la Tower Captain à cet égard. Au mois de septembre cette année, on va avoir des gens de Chicago qui vont venir et ceux d’Indianapolis et une dame de la Californie qui viendront sonner avec nous. C’est une bonne façon pour nous et les autres de s’améliorer. »
L’équipe pratique 1h30 un soir par semaine à la cathédrale ainsi qu’environ une fois par mois à l’église Saint-Matthew, convertie aujourd’hui en bibliothèque municipale.
Les sonneurs changent constamment de cloches d’une semaine à l’autre pour apprendre à manier chacune des cloches. Celles-ci diffèrent en poids et en position selon les séquences jouées.
Deux tours munies du système de Change ringing à Québec et dotées de huit cloches, la cathédrale Holy Trinity et l’église Saint-Matthew, sont à la disposition des sonneurs. « Au Canada, il y a sept tours et on en possède deux à Québec », explique Donna McEwen.
À Holy Trinity, l’équipe sonne dans une salle située sous le clocher à un étage intermédiaire, éclairée par une porte-fenêtre à double battant qui donne sur l’entrée de la cathédrale.
Pourquoi les cloches sonnent-elles ?
Les bénévoles sonnent les cloches tous les dimanches à partir de 10h20, soit avant l’office en anglais pour attirer les fidèles. Une seule de ces cloches est sonnée cinq minutes avant le début de la messe pour annoncer son imminence.
« On sonne pour appeler les gens à la messe, mais aussi pour souligner les évènements spéciaux, précise la capitaine. Souvent on sonne aussi pour les funérailles. »
Elle explique que dans le cas de funérailles, une demi-sourdine est placée sur le battant. Si la personne décédée est un homme, la cloche sera sonnée neuf fois, six fois pour une femme et trois fois pour un enfant.
« Les gens vont savoir avec la sourdine que c’est pour un décès, continue Donna McEwen. Ensuite on va sonner le nombre d’années que la personne a vécu. Dans le village à l’époque, les gens ne pouvaient pas tous se déplacer. Donc ils vont entendre les cloches et savoir par exemple qu’une femme est décédée et qu’elle a eu que 30 ans. Ça doit être telle personne. »
Les cloches sont aussi sonnées lors de mariages, sans sourdine pour produire un son joyeux. « On fait aussi le firing. C’est quand on sonne toutes les cloches en même temps et on revient en rounds avec la gamme et les huit cloches ensemble », explique la Tower Captain.
La Ville de Québec demande aussi parfois de sonner les cloches lors d’occasions spéciales comme la course de vélos ou la journée du souvenir.
À savoir si la pratique est encore étroitement liée à l’aspect religieux, Donna McEwen croit que ce n’est pas le cas. « C’est certain qu’on sonne pour la messe, mais à la tour il y en a peu qui vont à l’église, affirme-t-elle. Il y a quelques années, on a eu deux sonneurs qui sonnaient jusqu’à moins dix et quittaient à la course pour arriver à temps à la messe. Moi j’y assiste aussi, mais ce n’est pas tout le monde qui le fait. »
La plupart des citoyens aiment entendre les cloches sonner selon elle. Parfois, les sonneurs font ce qui s’appelle un peal, soit 3h de sonnage sans jamais répéter la même séquence. La capitaine reconnait que l’été, ça peut déranger un peu les musiciens de rue dans le Vieux-Québec.
Deux côtés de la tour Saint-Matthew ont du sound-proofing, une mesure d’isolation acoustique du côté de la rue Saint-Jean et non du cimetière.
Devenir sonneur : une activité « physique, sociale et mentale »
La Guilde est actuellement à la recherche de nouveaux bénévoles.
Donna McEwen explique que ça prend au moins deux mois avant de savoir s’y prendre et acquérir un niveau technique intéressant pour pouvoir jouer sa corde seul. Il faut quelques mois pour pouvoir manier les cloches en équipe et diversifier les séquences sonores.
Les nouveaux sonneurs se présentent le plus souvent comme visiteurs. Ils sont initiés à la pratique par imitation avec d’autres sonneurs qui les forment individuellement puis en équipe au cours des pratiques hebdomadaires.
Donna McEwen raconte qu’elle a commencé en 2004 pour faire une activité physique en famille avec ses deux fils alors adolescents.
Elle explique aussi que sonner n’est pas nécessairement difficile physiquement. En apprenant bien la technique, il est possible de sonner une cloche presque avec deux doigts.
« On peut avoir énormément de plaisir, soutient la Tower Captain. L’idée c’est de donner un son qui est joyeux. Ce que j’aime beaucoup, c’est que c’est une activité sociale. C’est une activité physique très bonne pour le dos et le haut du corps et pour la concentration en plus. Il y a aussi des milliers de méthodes et beaucoup de livres qui existent. »
Donna McEwen raconte qu’il y avait à un moment un groupe de sonneurs cégepiens qui sont tous partis en même temps. La tradition était alors comme interrompu et ne pouvait se transmettre.
« On essaie toujours que ça continue, affirme-t-elle. C’est un art qui doit durer. »
Les informations sur la Quebec city Guild of Change Ringers proviennent du site Le patrimoine immatériel religieux.
Bonjour à vous, simplement pour vous préciser que le nom de l’ancien capitaine de tour est nommé Douglas Kitson et non Kiston comme votre article l’indique. Merci pour ce beau texte en passant, c’était très intéressant à lire !!
Je crois que j’ai mal compris une des questions sur le lien avec la vie religieuse, et j’aimerais ajouter quelques détailles. Sonner des cloches est surtout de communiquer avec la communauté autour. Donc, les événements dans la vie paroissiale de l’église sont soulignées (ex. l’office de dimanche, funérailles, mariages, etc.), mais également des événements dans la communauté immédiate et élargie. Pendant la deuxième guerre mondiale, Churchhill a demandé aux clochers des églises de se taire, et d’attendre la fin de la guerre avant de sonner. Un autre exemple : nos amis habitent une église convertie en maison. La cloche est fonctionnelle mais le curé leur a demandé de ne pas sonner d’une façon aléatoire parce que le son des cloches semait la confusion autour. Les gens ne savaient pas pourquoi les cloches sonnaient. À Québec, nous avons sonné pour les Journées de la culture, le Jour de l’an, la fête de la ville de Québec, le 400e anniversaire, le triste décès des 28 personnes en Nouvelle Écosse en 2020, des fêtes musicales…