Les pistes cyclables ayant subi cet hiver les conditions météorologiques difficiles, certains cyclistes sont insatisfaits du déneigement, notamment en haute-ville sur la rue Père-Marquette, présentement impraticable pour les vélos.
Nous avons parlé à trois cyclistes pour en savoir plus. Comment ont-ils vécu leurs déplacements cet hiver ? La Ville de Québec a-t-elle rempli sa promesse d’en faire plus pour la mobilité active ?
Pierre-Luc Lachance, vice-président du comité exécutif et responsable du volet Transports, mobilité et circulation avait notamment annoncé en janvier des améliorations concernant le déneigement des pistes cyclables.
Finalement, les cyclistes sont-ils optimistes pour l’avenir du vélo quatre saisons à Québec ?
Le compte-rendu d’un nouvel adepte
Raphael pratiquait le vélo l’hiver pour la première fois cette année. Il retient de son expérience « un manque de constance » au niveau du déneigement des pistes cyclables.
« Sur le site de la Ville, ils ont fait un projet pilote pour dire quelles étaient les pistes cyclables qu’ils s’engageaient à déneiger, débute-t-il. Tant mieux, mais la conclusion, c’est que ce n’est pas aussi assidu que le déneigement des routes pour les automobiles. Ce n’est pas la même discipline. Ils le font en bonne grâce, mais c’est inconstant. »
Il reconnait qu’à plusieurs moments dans l’hiver, certaines pistes comme celle sur la rue Père-Marquette n’étaient pas praticables.
Il ajoute qu’il sait que c’était aussi le cas pour les voitures dans certaines rues, mais que « c’était réglé en 2 jours », ce qui n’est pas le cas pour les pistes cyclables. Raphael reconnait en somme à Québec une volonté que le cyclisme soit possible à l’année longue, mais que dans les faits, c’est plutôt l’impossibilité qu’il le soit qu’il constate.
Des conditions hivernales « incroyables »
Alain pratique le vélo l’hiver depuis 25 ans. Résidant désormais sur la Rive-Sud, il soutient que c’est la première fois, et cela à cinq reprises, qu’il est incapable de traverser le pont à vélo.
« C’est jamais arrivé en 25 ans que ce soit impraticable, affirme-t-il. La raison pour laquelle c’est plus difficile cette année, c’est qu’on a jamais eu autant de glace. La Ville ne gratte pas la glace, elle la laisse. C’est traversable pour une automobile, mais pas pour un bicycle. »
Il prend en exemple la semaine dernière avec les redoux jusqu’à près de 10 degrés suivi d’averses de neige. Ce qui a fondu est devenu de la glace et le passage des voitures a permis la formation d’ornières qui ont gelés dans la nuit.
« C’est déjà pas large le trottoir du pont, si en plus on ajoute des monticules de glace, poursuit Alain. J’entends tout de suite les autorités qui disent qu’il faut marcher sur le pont. C’est une absurdité de demander à un cycliste de marcher à côté de son bicycle sur le pont. Il n’y a pas de place. »
Il explique qu’un autre problème s’est aussi posé cet hiver, soit le fait que la neige soit tassée sur la piste cyclable à la sortie du pont et ne soit jamais nettoyée.
« On fait le ménage pour les automobiles, mais pas pour les cyclistes, lance-t-il. C’est toute de la slutch et de la cochonnerie qui figent là. Ça prend une machinerie épouvantable pour gratter ça. Cette année c’était incroyable. »
La difficulté principale selon Alain est le fait de ne pas gratter la glace, mais de se limiter à pousser la neige et attendre que la glace fonde au soleil. Il constate que ces conditions météorologiques difficiles sont nouvelles.
« La Ville va falloir qu’elle s’adapte, poursuit-il. Il va falloir qu’elle apprenne à gratter comme du monde la glace. »
Une administration fermée d’esprit ou un héritage maudit ?
Raphael remarque que des efforts sont fait et refuse d’être pessimiste. Le problème est qu’il trouve que la Ville manque de vision et qu’elle se ferme aux innovations possibles.
L’administration s’obstine selon lui à déneiger les pistes alors qu’il y a des manières alternatives de faire.
« Avoir des surfaces chauffées avec des fils chauffants ça existe, affirme Raphael. C’est une technologie éprouvée. Ils sont toujours en train de spinner le truc de Montréal : ils ont essayé de chauffer avec une patente à gosse. Les fils chauffants existent pour des chaussées. Le coût est négligeable par rapport à ce que ça coûte d’envoyer les cols bleus pour déneiger. »
De son côté, Alain affirme que le problème actuellement avec l’administration est qu’elle se trouve coincée avec « l’héritage de Labeaume ».
« Il a tout donné ça à contrat, soutient-il. Il y a à peu près huit compagnies qui font le déneigement et il n’y en a pas une qui a le même contrat ni les mêmes obligations. Un secteur c’est bien fait, l’autre mal fait. Pierre-Luc Lachance va vous le dire. Ils sont attachés avec ces contrats. Il va falloir attendre la fin pour pouvoir les renégocier comme du monde. »
Ce sont les contrats qui ne sont selon lui pas adapter aux conditions hivernales nouvelles. Le frein principal selon Alain est une certaine mentalité qui persiste, soit de laisser de côté « le bon sens » pour favoriser l’économie au dépend des services.
Il conteste l’idée selon laquelle le problème viendrait de l’administration actuelle. Le problème, ce sont les citoyens de Québec qui élisent les décideurs.
« Actuellement, le monde est tout à l’auto à Québec, continue Alain. N’importe quel effort pour les bicycles est jugé trop, trop, trop. Alors que ce n’est pas grand chose ce qu’on demande, juste une chenillette qui passe de temps en temps. On a même pas ça à offrir, pas plus aux piétons. »
« Faire du vélo hivernal, c’est un peu du militantisme, affirme pour sa part Raphael. Il faut comme se battre avec des gens d’une autre génération. »
Les bottines suivront-elles les babines ?
La critique de Raphael à l’égard de l’administration à la Ville de Québec est dirigée moins à l’endroit des résultats réels du déneigement, mais plutôt à « leur fermeture par rapport à de nouvelles façons de penser ».
« J’en ai parlé avec Pierre-Luc Lachance, je lui ai envoyé mes recherches et mes idées et il m’a expliqué qu’ils venaient d’arriver au pouvoir et que ce n’était pas parmi les priorités », soutient-il.
La Ville a selon lui l’excuse facile. Il ajoute avoir presque fourni une étude à Pierre-Luc Lachance pour ensuite « se faire dire qu’ils n’avaient pas de temps pour regarder ça ».
Raphael se demande comment faire dans une démocratie municipale si même le représentant dans l’administration publique selon lui « manque de leadership et de vision » et « n’est pas prêt à faire quelque chose de nouveau ». Ne sachant conséquemment plus quoi faire pour « faire remonter le message », il songe à manifester ou joindre une tribune.
« Je pensais que la nouvelle administration allait être plus visionnaire, lance-t-il. Il y a une sorte de « greenwashing » appliqué à l’aménagement. Sur le site de la Ville de Québec et ça remonte à 2008, on a l’impression qu’on va être les leaders en transport actif… Après ça, avec les projets concrets, on enlève l’espèce de pellicule et il n’y a rien en-dessous. »
Alain reconnait que pour le moment, la Ville est « remplie de bonnes intentions ».
« Ça fait rien que 5 mois qu’ils sont là, on va leur laisser le temps d’arriver… proteste-t-il. Ils sont pris avec des décisions prises avant eux. »
Trop de promesses selon Madeleine Cloutier
Madeleine Cloutier, grande cycliste et ancienne candidate aux élections municipales dans Limoilou pour Transition Québec, constate que les pistes cyclables ne sont pas moins bien déneigées que les autres années.
« Ce qui fait la grosse différence, c’est l’administration qui annonçait en grande pompe que nous avions enfin un réseau hivernal avec 45 km de déneigés et 50 de damnés, poursuit-elle. Ça a amené de hautes attentes chez les utilisateurs. »
Ces attentes sont selon Madeleine Cloutier légitimes, les gens se déplaçant de plus en plus en vélo. Elle note aussi que la majorité des déplacements dans la ville de Québec sont de moins de 5 km.
« La communauté cycliste sentait, sans être l’administration la plus intense, qu’il y avait une belle écoute de leur côté, continue-t-elle. Je pense que les promesses étaient belles, mais forcée de constater qu’il y a beaucoup d’endroits faisant partie du réseau déneigé qui ne l’ont pas été. »
Elle mentionne à cet égard les pistes cyclables sur le boulevard Champlain, Père-Marquette et Arago.
« Je pense que ces promesses sont sincères, précise Madeleine Cloutier. Je crois en la bonne foi de l’administration, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. À part de belles lignes sur une carte, on a rien vu de concret. »
Un changement en cours
Elle reconnait toutefois, malgré l’absence de résultats sur les pistes, qu’il s’agit « d’un bon début ». À savoir si la faute est à mettre sur le manque de leadership ou de vision de l’administration ou les décisions passées et une certaine inertie administrative, Madeleine Cloutier opte pour la nuance.
« Je pense que les employés de la Ville sont pris dans une façon de faire, affirme-t-elle. Je sens que l’équipe est réfractaire au changement. Ça peut contribuer à ralentir l’ardeur des élus et le changement. Je pense que la volonté des élus est là, mais quand on parle de manque de leadership, c’est vrai que c’est à Pierre-Luc Lachance de mettre ses culottes. C’est aussi aux nouveaux élus à écouter la population. »
Mais la voix de la population participe-t-elle de cette fameuse « culture de l’automobile » ? Selon Madeleine Cloutier, ce n’est pas le cas.
« La mentalité est en train de changer, lance-t-elle. Je sens que si on avait plus et mieux en terme de pistes cyclables l’hiver, les gens les utiliseraient plus et mieux aussi. Ça s’en vient, ça change. Il faut penser notre ville pour la circulation qu’on souhaite avoir et pas celle avec laquelle on est pogné. »
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