Vous savez comment j’appelle le deuxième café qu’on prend le matin, une heure environ après le premier ? Le premier vrai café.
Vendredi matin, je me suis réveillé avec un mal de tête assez franc, j’ai envie de dire à l’ancienne, un vrai bon mal de tête d’autrefois. C’est que je n’avais bu qu’un seul café le jour précédent. Habituellement, j’en prends au moins trois, souvent quatre. Deux le matin, deux l’après-midi. Dans les grosses semaines, je tire une ou deux tasses de thé dans tout ça, ça permet de prolonger les effets de la caféine, comme me l’a appris un ami il y a quelques années.
Pour un résultat similaire, on peut aussi mettre du beurre dans le café, comme le font les tibétains, et probablement quelques esprits ouverts à San Francisco ou dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Je n’ai personnellement jamais essayé, je me dis que je ne suis pas rendu là, mais à chaque fois que j’achète une livre de beurre, je ne mentirai pas, c’est un projet qui me traverse l’esprit.
Ma dépendance fait en sorte que mon bureau ressemble à un meuble comme celui que décrit Baudelaire quelque part, « encombré de bilans, de vers, de billets doux, de procès, de romances », à la différence qu’il ne s’y trouve rien de tout cela, mais juste des tasses, des gobelets vides et de vieux journaux.
Les billets doux, ça n’existe plus, et si je parle franchement, ça devait être mieux quand même que les sextos. Certes, il n’y avait pas autrefois d’émoticônes, mais on pouvait parfumer le papier, j’ai l’impression que ce n’est pas plus mal. L’autre avantage, décisif à mon sens, c’est qu’on pouvait garder ces « billets » à part des autres, ils ne se mélangeaient pas au traintrain quotidien comme le font inévitablement les messages-textes.
Voici un exemple, tiré de l’une de mes nombreuses correspondances virtuelles, je ne vous dis pas avec qui, mais vous comprendrez peut-être si vous lisez attentivement.
– Devine ce que je porte ?
– Est-ce que c’est ce que je pense ?
– 😉
Quelques heures plus tard, je réponds.
– Dis, mon amour, est-ce qu’il reste quelque chose à bouffer ?
URGENCE – L’autre raison de mon mal de tête, c’est que j’avais passé la veille à l’urgence avec mon fils. En tombant sur une marche, il s’était ouvert le menton, juste un peu trop pour ne pas aller voir le médecin.
Sachant qu’on allait y laisser quelques heures, j’avais amené de la lecture pour divertir mon garçon, un livre que vous connaissez peut-être, Écoute et découvre les pompiers avec Pompy. Les râles incessants d’un gars d’une vingtaine d’années rendaient presque impossible l’apprentissage du vocabulaire de la caserne. Il y avait aussi d’autres enfants dans la salle, on sentait qu’ils étaient attirés les uns par les autres, mais tout le monde est resté assis sagement sur les genoux de ses parents.
Puis notre tour est venu, bien avant le gars de vingt ans, et nous sommes repartis à pied. C’est à ce moment que le sevrage a commencé. En manque de caféine, on peut être somnolent, irritable ou anxieux. Moi, je suis triste, tout simplement. Le parcours sous l’espèce de pluie lourde et froide qui commençait à tomber, le passage irrégulier des voitures, le son des câbles électriques, devenu presque imperceptible avec l’habitude, tout contribuait à faire gonfler ma tristesse comme un gros ballon de fête.
Alors que mon fils me signalait le passage d’un camion citerne en me disant pinpon pinpon, le ballon a éclaté et j’ai versé une larme qui est allée se perdre dans l’humidité du trottoir.
Ne jamais – jamais – oublier le café de l’après-midi.
G.C.
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