Par David Lemelin
Avec l’été viennent les bilans de sessions parlementaires, bilan du conseil municipal… et le bilan de Bruno Marchand n’y a pas échappé. Si dans Le Journal de Québec, le jovialisme sans nuance était de mise (d’ailleurs, Marchand lui rend bien en ne contestant pas le contrat qui le lie à Québecor avec l’amphithéâtre qui cumule des déficits énormes afin de s’assurer – à nos frais – de la publication de chroniques complaisantes), le texte de François Bourque dans Le Soleil permettait de tirer des conclusions auxquelles l’auteur lui-même ne s’attendait probablement pas. Du moins, pas aussi directement que je le ferai.
J’ai beaucoup aimé ce texte pour ce qu’il ne dit pas clairement, tout en étant limpide en même temps. Je résume.
Marchand a un style différent de Labeaume. Oui, ça on a remarqué. Ça fait du bien, on en convient ! Mais, pour ma part, je dis depuis le début que cette apparente ouverture est autant sinon davantage le résultat d’une méconnaissance des dossiers que d’une stratégie formelle. Quand on ne sait pas, on ne peut pas s’obstiner ou défendre vigoureusement son point. On n’en a pas. Donc, on attend de voir.
Par exemple, Bourque croit que Marchand s’oppose au troisième lien, mais ne le dit pas encore clairement. Il attend des chiffres convaincants du clan Legault, données qui ne viendront jamais, comme on le sait, le maire y compris. Or, si Marchand avait su ce qu’il en était avant de plonger en politique, il s’y serait opposé dès la première minute. Mais non, il a préféré la réserve. Fallait attendre de voir. Marchand ne connaît pas davantage le dossier de la qualité de l’air dans Limoilou : alors il attend des données pour lui indiquer ce qu’il devra en penser. Et il en est de même pour à peu près tout ce qu’il touche au municipal (économie, aménagement, transport, etc.) : il ne sait pas, donc il attend qu’on lui explique, qu’on lui donne la matière lui permettant de prendre position.
Entre-temps, les com de son groupe (qui travaillent très fort) se chargent de faire passer ces moments d’éducation personnelle pour de la stratégie de grand homme.
Par exemple, on a souligné le fait qu’il serait « champion d’échecs », histoire de faire croire aux gens qu’il voit deux, trois coups d’avance en politique. Ça impressionne et sa sculpte cette image de sage et brillant stratège. Personne n’a creusé la question, on s’est contenté de l’image. Pourtant, quand on connaît un peu les échecs, on peut se demander : champion d’échecs, d’accord, mais de quoi ? La classique annuelle de Loretteville ou le tournoi Tata Steel ? Qui plus est, les joueurs d’échecs eux-mêmes le reconnaissent : y’a pas de lien entre l’efficacité aux échecs et l’intelligence dans la vie quotidienne. D’ailleurs, deux des plus grands joueurs de tous les temps, Paul Morphy et Bobby Fischer, avaient de très lourds problèmes de santé mentale. Bref, c’est un type d’intelligence, les échecs, qui n’apporte pas grand-chose dans la vie réelle. Le maître international français Kevin Bordi s’est prononcé, comme d’autres, à ce propos et coupe court à ces raccourcis non démontrés.
Mais ce n’est pas important : aux com, on crée des images. On s’attarde moins au fond qu’à la forme.
Là, vous vous dites probablement que je suis encore très dur avec le maire. Oui, mais c’est que j’observe pour ma part ce que j’ai vu maintes fois de mes yeux ailleurs au municipal : ici, encore une fois, on fait du plein avec du vide. L’ennui, c’est que lorsque les dossiers sont aussi sensibles et sérieux (troisième lien, tramway, etc.), la période d’attente pendant laquelle le conseil s’éduque est un temps qui peut être critique. Or, le poids du maire de Québec lorsqu’il se prononce, par exemple contre le troisième lien, est colossal. Pendant qu’on se demande quoi dire, les opinions se cristallisent. Ça pourrait devenir compliqué de nager à contre-courant.
En revanche, et c’est important, je ne crois pas que Marchand soit mal intentionné ou qu’il échouera. Ses qualités le servent fort bien : son honnêteté et son envie de bien faire vont lui permettre de se rendre à peu près indemne aux prochaines élections. En fait, l’état de sa popularité dépendra presque entièrement des effets du tramway, à ce stade. Ses valeurs sont les bonnes, son approche conciliante est la bienvenue et il manifeste un leadership prudent qui se développe avec le temps, qui prend en assurance et en pertinence, au fur et à mesure qu’il emmagasine l’information concernant les différents dossiers. Cela me ramène à ce que j’ai déjà écrit : ainsi, il est possible de gouverner un État ou une ville quand l’appareil est fort et compétent, qu’importe les lacunes des élus. Et à Québec, nous sommes choyés en termes de fonction publique.
Mais chaque fois que des com essaient de me faire passer leur chef pour un nouveau JFK ou un autre Kasparov… là, invariablement, je souris en voyant les ficelles grossières qui pendent du plafond.
À ceux qui diront que je suis critique, ne vous en faites pas : je n’ai pas l’intention d’écrire un livre sur le maire de Québec. Je le préfère nettement à Labeaume, ça va de soi. Et puis, pas certain qu’un livre intitulé « L’ignorant sympathique » marchera autant que « La dictature amicale »…
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