Par Jayman
Cher journal.
C’est fait. Je suis passé du côté de la rébellion verte. Je suis le Luke Skywalker des arbres. Le William Lyon Mackenzie de la verdure. Le Louis-Joseph Papineau de la photosynthèse.
J’ai joint les rangs du CCCCCC, le mouvement “Citoyens et Citoyennes Contre les Chars et Camions au Centre-ville”, un groupuscule à saveur de rébellion (et de vanille) qui a déclaré une guerre ouverte aux automobiles.
Évidemment, on ne s’attaque pas aux automobiles de plein front. Parce que leur pare-chocs est plus solide qu’un simple front. Non. On s’y attaque de manière sournoise. En leur ravissant des espaces de stationnement, qu’on remplace par des arbres. Parce que les arbres, ils sont plus solides que les pare-chocs. Bon, pas quand on vient juste de les planter, là ils sont encore fragiles. Mais quand ils seront matures, là il faudra faire gaffe! On s’en reparle dans 35 ans, cher char!
J’ai été recruté par le CCCCCC afin de passer l’après-midi à saboter la vie automobile du quartier, car je répondais à tous les critères recherchés pour mener cette mission à terme : j’étais disponible.
Lorsque j’arrive sur place, on m’amène vers un bunker secret, où une poignée de guerriers du vert sont déjà là. Ils attendaient mon arrivée, qui a été retardée en raison de mon vélo qui ne voulait pas démarrer.
La personne qui supervise l’opération, un homme d’expérience à la barbe grise et au cheveux absent qu’on surnomme “le Lieutenant En charge”, nous explique la mission. Il faudra détruire l’entièreté de toute une place de stationnement afin d’y planter deux arbres. Cela, à tout prix. Quitte à y laisser notre vie.
Malheureusement, selon le Lieutenant En charge, il y a fort à parier que plusieurs d’entre nous devront y laisser leurs calories. En effets, nous devons réaliser cette mission sans machinerie lourde, puisque notre guérilla reçoit de l’argent de l’État en fonction du nombre de personnes qui y participent. Et la machine à détruire les stationnements, bien que très efficace, n’attire pas autant de gens que la stratégie du “fait à la sueur de nos mains”.
Après avoir lancé notre cri de ralliement (“Mort aux chars”), nous émergeons du bunker, pelle et pioche et gourde d’eau réutilisable à la main. Certains ont même des pots massons en guise de gourde, parce que le plastique, même réutilisable, ça reste du plastique. Et on ne veut pas voir des tortues avec des gourdes de plastique dans le nez.
La tension est à son comble. Nous sommes aux aguets, car nous sommes maintenant en plein milieu du territoire ennemi : un stationnement d’épicerie. Que des espaces de stationnement à perte de vue, donc une vingtaine. L’avantage d’être en ville, c’est que la vue ne porte jamais bien loin!
La zone déborde de voitures. Pour l’instant, elles ne semblent pas nous avoir vus. La plupart ne font que dormir dans leur espace de stationnement, comme des chats dans leur litière. Les autres jouent et mangent. Une voiture, plus en retrait, allaite ses petits.
Mais ce calme relatif peut changer à tout moment. Si nous sommes aperçus, les voitures pourraient facilement venir nous foncer dessus. C’est pourquoi nous nous rabattons sur l’astuce millénaire qui consiste à se protéger en s’entourant de rubans orange-fluos sur lesquels est écrit “ATTENTION!”.
La première étape consiste à arracher l’asphalte de sa terre natale. Nous l’entassons dans un container, où elle est maintenant prise en otage. Lorsque l’opération sera terminée, elle sera envoyée dans un camp de rééducation, où elle sera reconvertie au recyclage et au compostage. Je sais, c’est cruel, mais c’est la guerre, et la guerre est cruelle. Et il faut que quelqu’un serve d’exemple, et aujourd’hui, ce sera l’asphalte.
Une fois l’asphalte hors d’état de nuire, nous délimitons notre nouveau territoire avec des petits remblais de béton, afin que la terre que nous allons y déposer ne soit pas envahie par les repousses d’asphalte.
Il ne nous reste plus qu’à planter les deux arbres prévus à cet effet, et à créer un aménagement qui plait à l’œil. C’est à ce moment qu’une des mercenaires du groupe nous fait une surprise : elle a amené avec elle 15 plantes que nous allons pouvoir planter comme des mines anti-CO2.
Une fois le sale travail terminé, nous effaçons toutes traces de notre passage, et nous nous sauvons rapidement pour nous mettre à l’abri et célébrer notre victoire en mangeant de la luzerne.
Je peux difficilement exprimer à quel point je suis heureux d’avoir participé à la guerre contre l’automobile. Je me sens fort de leur avoir enlevé une première place de stationnement. Et à la propagande pro-char qui dire “vous avez peut-être gagné cette bataille, mais pas la guerre”, je répondrai qu’au rythme où vont les choses, la Grande Victoire n’est pas bien loin. Je suis même prêt à parier que nous serons victorieux au moins quelques jours avant que le Soleil explose.
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