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Le moment « séparatiste » de Limoilou

courrier limoilou(Photo : Capture écran, Archives Courrier de Limoilou)

Par Karim Chahine et Julien Renaud-Belleville

Cet article est publié dans le cadre d’une série de textes historiques portant sur Le Courrier de Limoilou. Écrits par Karim Chahine et Julien Renaud-Belleville, deux jeunes historiens résidents du Vieux-Limoilou, ces textes vous permettront de plonger dans l’histoire de ce journal de quartier publié de 1934 à 1975. Ce projet de recherche a été réalisé grâce au soutien de la mesure Première Ovation dans le cadre de l’Entente de développement culturel intervenue entre le gouvernement du Québec et la Ville de Québec.

Les pages du Courrier de Limoilou témoignent par moment d’un sentiment d’injustice perçu par le quartier Limoilou par rapport aux autres quartiers de la ville de Québec.

Excédé des décisions prises par les autorités de la ville au détriment du quartier, l’un des chroniqueurs du journal proposera l’audacieuse idée de faire de Limoilou une municipalité entièrement indépendante.

C’est sous la plume du chroniqueur vedette J. Voisclair que cette idée est évoquée pour la première fois dans les pages de l’organe officiel du quartier.

Le 15 février 1953, on annonce en première page du journal que « Le quartier Limoilou songerait à se retirer de la ville de Québec ». L’article indique que l’initiative proviendrait d’un groupe d’hommes d’affaires du quartier.

La raison invoquée?

« Depuis la fondation du quartier, il a fallu que les résidents se battent ferme pour obtenir leurs besoins. (…) Notre représentation à l’hôtel de ville ne correspond pas à notre population ainsi que notre évaluation comparativement aux autres quartiers. (…) Pour résumer il faut que Limoilou ait justice ou se retirer du « vieux » pour rester « jeune » en fondant une cité qui fera honneur à ses résidants, car ils se sentiront chez eux. » 

Une idée en gestation depuis plus d’une décennie

Les raisons évoquées pour tenter de justifier une séparation du quartier Limoilou de la Ville de Québec ne sont pas neuves. Le Courrier de Limoilou relaie différentes causes d’injustice dans l’attribution des budgets au quartier de la basse-ville depuis ses premiers numéros.

C’est pour cette raison que dans une chronique de 1938, J. Voisclair se réjouit que, pour une fois, le quartier Limoilou ait droit à sa juste part du budget municipal :

« Ne croyez pas que je sois de l’opinion de certains messieurs qui croient que Limoilou a trop reçu loin de là je suis sur l’impression qu’on aurait dû donner davantage. Mais en faisant un petit relevé de ce que ce pauvre quartier a reçu les années précédentes, on trouve certainement que le montant accordé cette année est fabuleux. »

Des échos décevants au-delà des colonnes du Courrier

Si l’idée est suggérée dans les pages du Courrier de Limoilou, qu’en est-il à l’extérieur des pages du journal? Dans les faits, cette idée semble être plutôt portée par le chroniqueur J. Voisclair et sans doute aussi l’équipe de rédaction.

Dans le numéro suivant celui où l’idée est proposée pour la première fois, on recense les réactions dans les autres journaux de la ville et à l’hôtel de ville sous le titre assez évocateur « SANS COMMENTAIRES ».

L’Action catholique mentionne que « cette nouvelle un peu sensationnelle et pour le moins imprévue a été accueillie sans commentaires dans les milieux municipaux ».

Le Soleil rapporte aussi que les échevins du quartier Limoilou ne sont pas au courant de cette rumeur.

Le journal L’Évènement conclut que ce « potin [est] sans fondement sérieux ».

Finalement, à l’hôtel de ville, c’est dans un éclat de rire que la rumeur aurait été accueillies.

En référence à l’auteur de la chronique dans le Courrier de Limoilou « Un (…) échevin, Alphonse Boutet, qui [s’informe] du signataire de l’article et qui apprenait le pseudonyme « J. Voisclair », répond promptement : « On y voir plus rien! ».

Aux yeux du chroniqueur J. Voisclair, qui signe une chronique intitulée « Rire bien, qui rira le dernier », tous ses rires ne sont qu’une autre preuve « de plus que le quartier Limoilou n’est pas pris au sérieux ».

Il répond d’ailleurs à la boutade de l’échevin Boutet : « En passant, je dois dire que si l’on croit que je ne vois pas clair, faites bien attention que voyant trop CLAIR, je dise des vérités qui seraient trop CLAIRES pour quelques-uns. 

Le futur du quartier Limoilou

Si cette proposition de séparation ne semble pas prendre d’ampleur, un sentiment d’injustice continue d’irriguer les colonnes du Courrier de Limoilou.

« Mais que fait-on pour le quartier Limoilou, se demande le chroniqueur J. Voisclair quelques années plus tard? Si des citoyens demandent quelques améliorations, c’est tout un scandale. » (1er mai 1960)

Le Courrier de Limoilou continuera de défendre les intérêts du quartier Limoilou tout au long de son existence.

À partir des années 1960, le journal délaissera quelque peu son « indépendance » habituelle pour critiquer le maire Gilles Lamontagne, en poste de 1965 à 1977. En ce sens, le journal est resté vrai à la mission qu’il s’était donnée dès son premier numéro en 1934.

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