Des organismes et écoles en arts du cirque tirent la sonnette d’alarme quant aux impacts sur le secteur circassien des restrictions liées à l’immigration, comme la loi 74.
Par Estelle Lévêque
Au cours de l’année 2023-2024, 93 étudiant.e.s ont fréquenté les programmes de formation de l’École de Cirque de Québec. Iels provenaient de France, des États-Unis, du Brésil, du Sénégal, de Suède, du Mexique, de Suisse, d’Espagne, d’Australie, du Royaume-Uni, d’Allemagne ou encore du Québec (Source : Rapport Annuel 2023-2024 de l’École de Cirque de Québec).
Aujourd’hui, cette diversité semble menacée. En effet, les impératifs des récentes lois sur l’immigration au Québec, comme la loi 74, créent de nombreux enjeux dans l’écosystème circassien. Ainsi, des organismes et écoles en arts du cirque tirent la sonnette d’alarme quant à leur survie.
Fermer les portes des écoles
En octobre 2024, le gouvernement de Québec déposait un nouveau projet de loi concernant les étudiants étrangers. Intitulée loi 74, celle-ci « vise principalement à améliorer l’encadrement relatif aux étudiants étrangers » et donne au gouvernement les moyens de réglementer et, au besoin, réduire le nombre d’étudiants étrangers admis dans les cégeps, collèges privés et universités. Quant au projet de loi 96, adopté en 2022, il limite les inscriptions dans les cégeps anglophones et impose des cours de français supplémentaires aux étudiants.
Pour les établissements de formation en arts du cirque, ces deux lois ont « un impact immense », comme le soulève Nadia Drouin, directrice générale du regroupement En Piste. Avec environ 600 membres, dont des écoles, artistes et compagnies de création, le regroupement national des arts du cirque En Piste porte un regard sur l’ensemble du secteur, de la formation à la création, jusqu’à la diffusion.
« C’est comme si l’on dressait des barrières devant l’entrée de nos écoles », affirme Mme Drouin, en rappelant qu’environ 60% des étudiants en formation supérieure en arts du cirque au Québec proviennent de l’international. En effet, ces nouvelles lois s’accompagnent de plafonds pour les étudiants internationaux (selon la région, le niveau d’études, l’établissement, le programme ou la langue) et de « seuils minimaux » d’admissions de résidents québécois.
Pour les écoles, ces seuils minimaux posent problème. « Il y a une obligation croissante pour que l’on accepte des [résidents] québécois. Mais on a à peine assez de candidats québécois à nos formations », résume M. Tim Roberts, directeur général de l’École de Cirque de Québec.
Un blocage en amont
Là où M. Roberts évoque la crise post-covid ou les enjeux actuels du milieu culturel comme éventuelles causes du manque de candidats québécois, Mme Drouin pointe du doigt le manque d’investissement gouvernemental pour l’enseignement en arts du cirque. « Au Québec, la filière de formation en arts du cirque n’est pas développée. Le ministère de l’Éducation ne reconnaît pas le cirque comme une matière dans nos écoles », dénonce-t-elle. Malgré les actions d’En Piste auprès du ministère pour la création d’un programme de Cirque-études, rien ne semble bouger.
« Toutes les structures sont là, les écoles sont présentes pour accueillir du Cirque-études au secondaire. Tant que cette filière [préparatoire] ne sera pas mise en place et bien structurée, ça restera très difficile de développer un bassin d’artistes [du Québec] qui auront potentiellement le niveau pour intégrer une école supérieure. »
Nadia Drouin, directrice générale du regroupement En Piste.
Un écosystème tissé-serré
En plus de menacer la survie des écoles, les enjeux liés à l’immigration fragilisent le secteur des arts du cirque au Québec dans son ensemble.
« La formation va impacter la création qui, à son tour, va impacter la diffusion. Puisqu’on a des barrières à l’entrée des écoles, moins de finissants vont sortir dans les années à venir. Donc, on va manquer de matière première pour faire nos créations », résume Mme Drouin.
En effet, suite à leur formation, les finissants des écoles de cirque intègrent rapidement, en grande majorité, le milieu professionnel circassien. Généralement, ils rejoignent des productions et compagnies existantes, ou lancent leur propre compagnie. C’est le cas des étudiant.e.s de l’École de Cirque de Québec, dont le taux de placement avoisine chaque année les 100%.
Aux yeux de Nadia Drouin et de Tim Roberts, lui-même originaire des États-Unis, il est essentiel d’encourager le rayonnement qu’offre le cirque au Québec.
« L’école et les arts du cirque attirent des gens compétents qui viennent s’installer, enrichir et renforcer ce milieu et la société ici. Les gens ont l’impression qu’on forme les étrangers avec notre argent puis partent. Mais ils reviennent. Beaucoup reviennent, s’installent, deviennent québécois, et enrichissent cette ville et cette province par leur présence. »
Tim Roberts, directeur général de l’École de Cirque de Québec.
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