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Impressions citadines par Catherine Dorion: Lutter contre le vide avec la seule chose qui comble

Théâtre Paris Villette

On vient de jouer le spectacle ce soir-là au Théâtre Paris-Villette, on prend une bière. Un technicien collé à l’écran de son téléphone nous lit un gros titre. « Fusillade… » D’abord on dit : « Ah? » puis, comme si l’attaque se déroulait au Niger, on reprend les conversations. Mais ça s’enchaîne : prise d’otages là, attentats-suicide là, à deux kilomètres d’où nous étions.

Nous apprendrons plus tard que les assaillants étaient dans la vingtaine – l’un d’eux est né treize ans après moi, en 1995. À son âge, je commençais tout juste à sortir de mon analphabétisme politique. Lui a décidé de se réduire en bouillie pour ses idées politiques.

Je rentre à pied chez moi, juste de l’autre côté du périphérique, en banlieue parisienne, là où la couleur des peaux foncit considérablement. Étrangement, voir les rues se remplir d’Arabes et de Noirs à mesure que je m’enfonce dans Pantin me rassure. Ici, me dis-je, on ne tirera pas sur les terrasses.

Mais je sais déjà que la guerre sera à l’honneur à la télévision et dans tous les micros, que ça va résonner et re-résonner et envelopper les ondes et les gros titres et les conversations facebook – et aussi, tissées de ces derniers, les conversations entre amis. Je sais que les attentats viennent de donner un boost à tous ces va-t-en-guerre qui n’attendent que ça, faire mourir les autres pour leurs idées. Déjà, peu de temps avant les attentats, le juge du pôle antiterroriste français Marc Trévidic disait : « Les jours les plus sombres sont devant nous […]. Le terrorisme est une surenchère ; il faut toujours aller plus loin, frapper plus fort. » Mais ce qu’il décrit n’est pas la logique du terrorisme, c’est celle de la guerre. C’est l’existence de cette surenchère de deux côtés opposés qui fait la guerre.

Nous sommes en guerre depuis longtemps. Nous le savons, un peu. Cette réalité glisse sur nos cerveaux lorsque nous nous plantons devant le téléjournal, mais ça ne nous pénètre pas, ce n’est pas assez prenant, pas assez happant à côté de tout ce flafla, à côté de l’image télévisuelle de quelque fille pulpeuse misérablement vide qui étale sa peine de ne pas être autre chose qu’elle-même. Son mal, elle le porte avec elle peu importe les circonstances extérieures de sa vie. Il la constitue. Son vide est le reflet de celui, violent, qui s’est imposé sur les cultures, les communautés, les familles, les individus. Il y a quelque chose de l’enfant qui ne mange pas à sa faim dans son mal. Des êtres développés tout croches, avec des manques qui les empêchent d’accéder aux plus belles potentialités de l’humain : confiance, contemplation, création, amour. Un manque transformé en souffrance permanente. Il n’y a pas eu beaucoup de chaleur ni beaucoup de sens. Pas eu beaucoup de rapport au monde – le vrai, non pas celui des écrans. Les liens ont été coupés : une autre forme de malnutrition.

C’est ce vide-là qui est à l’origine de la violence.

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