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Impressions citadines : Se faire respecter par les osties

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Il y a un gars qui doit de l’argent à beaucoup de monde. En plus, ce monde se tient toute dans les mêmes quartiers de Québec où l’on se promène à pied et où l’on se croise sur le trottoir : ce sont, pour la plupart, des artistes et/ou des travailleurs culturels.

C’est un genre de producteur. Il imagine des shows, il part en balloune, il appelle des gens qui n’ont jamais travaillé avec lui, il leur monte un gros projet. L’artiste comprend qu’il vient de pogner un contrat intéressant, lui qui court après les contrats. Il est d’autant plus heureux parce que c’est le projet de quelqu’un d’autre : il n’aura pas à réfléchir à cette activité abhorrée par tant d’artistes qui consiste à trouver le cash. Il n’aura qu’à s’exécuter et sera payé par le producteur. C’est tout ce qu’il veut, au fond : faire son métier et recevoir de l’argent pour.

Au moins une dizaine de personnes différentes m’ont dit qu’elles s’étaient fait avoir par ce type, c’est-à-dire qu’elles avaient fait un travail pour lequel elles n’avaient pas été payées ou pas complètement. Lorsque j’ai travaillé pour lui, j’ai dépensé plus de temps à courir après 300$ que ce que 300$ équivaudrait pour moi en heures travaillées. Je l’ai reçu par petits morceaux, chacun accompagnés d’une excuse, et à la fin, alors qu’il ne restait qu’un maigre 50$ à aller chercher, il m’a remis 34$ en me disant que le reste, il l’avait pas, qu’il m’enverrait ça par la poste… Come on. Me poster 16$ par la poste alors que tu me fuis comme un clown depuis six mois?

Enfin. Des p’tits maudits, il en pullule, je ne tenterai pas de vous faire détester un individu qui n’est que le représentant d’une race nombreuse de pauvres types.

Mais chaque fois que je le croise dans la rue, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’il ressent quand il croise lui-même un artiste qu’il n’a pas payé (ce qui doit lui arriver souvent). La dernière fois, il m’a ouvert la porte du Café Nektar avec un sourire pour m’aider à passer avec ma poussette. Chaque fois, je m’haïs de ne pas oser lui dire : «Tu me dois 16$, tu l’as-tu?» Chaque fois je me dis que je devrais lui remettre ça sur le nez comme il faut remettre sur le nez aux enfants ce qu’ils font d’asocial, ce qui n’est pas acceptable. Mais il s’en tire, le couillon, parce que j’ai peur de la chicane (désolée, c’est le Québec en moi)…

Deux morales :

1 – Artistes, exigez toujours des contrats. Vous n’aurez pas l’air téteux. Vous n’aurez l’air que de gens qui ne sont pas prêts à travailler gratis.

2 – Lorsqu’un employeur vous dira pour la troisième fois qu’il ne peut pas vous payer parce que gnagnagna, restez sur place et dites : «Tu me dois 16$, tu me donnes mon ostie de 16$, tout de suite», avec le doigt pointé vers lui, le ton d’une mère qui ne rigole plus et une bonne agressivité oculaire. Pas pour avoir votre 16$. Parce que le gars doit saisir, comme un enfant, que le mensonge et le vol ne passent pas – en tous cas, pas avec vous. Ça s’appelle se faire respecter par les osties et ça fait définitivement partie du guide de survie en société. Exerçons-nous à faire ça : peut-être, alors, serons-nous un jour capables de le faire en gang lorsque des pétrolières et des gouvernants vendus s’uniront pour scraper nos avoirs collectifs et s’en mettre plein les comptes de banque.

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