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Impressions citadines: Coup de gueule

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

C’est un montréalais un peu connu, un gars des médias. Mon âge. Il me devance d’au moins cinq ou six gin tonics. Un peu intimidée, je lui serre la main en souriant. Il me lance, pour faire rire ses amis : «T’arrives de Québec, là? Ça doit pas être facile, han, Montréal? Il y a des femmes voilées, y a du monde qui parle anglais, tu capotes pas trop? Pas trop déstabilisée?» Il rit (de moi).

Je suis difficile à choquer. Mais ce soir-là, peut-être juste parce qu’on tape toujours sur le même clou, sa joke me vide de toute bonne humeur. Est-ce parce que je saisis aussitôt qu’il n’a probablement jamais exploré le centre-ville de Québec plus de deux heures de suite? Je lui réponds un truc minable tandis que, intérieurement, je lui fais remarquer que pendant qu’il passait ses journées sur le net à se mettre dans la tête des données déracinées de la réalité afin d’impressionner ses collègues, moi je m’enfonçais sur des routes sans nom du fond de la Bosnie musulmane ou du Tatarstan pour y dormir chez l’habitant. Heille, buddy, que je lui dis dans ma tête, je parle quatre langues, j’ai fait ma maîtrise à Londres, tu me prends vraiment pour une anglophobe? Et oui, malgré tout ça, j’adore ma ville. C’est ma ville. Il s’y passe des trucs splendides. Non, ce n’est pas un trou fasciste, arrête.

Je veux bien croire qu’à Québec il y a des radios populistes de droite qui pognent dans toute la banlieue, que cette banlieue vote majoritairement à droite et que selon toi, jeune journaliste de Montréal, cela est vraiment MAL. Mais j’ai deux questions pour toi.
1 : As-tu déjà parlé à ces gens, tenté sincèrement de comprendre le phénomène, toi le journaliste, où passes-tu tout ton temps à te prélasser dans tes zones de confort?
2 : Veux-tu vraiment que je juge, toi et tous tes congénères, en me basant sur les choix électoraux et culturels des gens de Laval et de Brossard? Ça n’a aucun sens, ce sont des univers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

Lâche-nous, là, deux minutes. Fais comme tous ces gens de Québec qui font sans cesse des saucettes à Montréal : viens, reste un peu, observe. Viens sur St-Joseph, une rue où, il y a 15-20 ans, il ne se passait vraiment pas grand-chose. C’est une petite rue, mais juste sur celle-là t’as le choix entre cinq shows par soir. Tu peux faire ton épicerie dans le coin chez La Américas, ou chez Amine, ou chez Deshi Bazar que des Népalais viennent d’ouvrir, pour ne nommer que ceux-là. Tu peux aussi aller manger chez Rosie, (ou Restaurant Jacques-Cartier), une cantine rétro (non pas par choix stylistique) qui n’est pas fréquentée par du monde «in» du milieu des arts mais par de la vraie classe populaire, t’sais, comme dans les films qui sont présentés dans tes festivals à la mode (tu seras peut-être dépaysé par contre : les clients de chez Rosie sont unilingues et lisent le Journal de Québec…).

En gros : sors de chez vous. Tu pourrais en profiter pour aller faire un tour ailleurs aussi, à des places qui ne sont pas glamour, je sais pas, moi, La Tuque ou Forestville, genre. Découvrir quelque chose, t’sais, ne serait-ce que pour le plaisir de faire du vrai bon journalisme.

(Excusez-la.)

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