Limoilou — Des investissements majeurs dans un secteur en mutation, un manque de transparence, une opposition citoyenne qui s’organise : le projet de la Zone d’innovation Littoral Est (ZILE) a commencé il y a quelques mois à agiter les esprits, en particulier dans le quartier de Maizerets.
Par Gabriel Côté
Cette initiative s’inscrit dans le cadre du Projet Saint-Laurent piloté par le gouvernement provincial, dans le cadre duquel il s’agit de développer en bordure du fleuve des « zones d’innovations », – une appellation vague désignant des endroits où s’entremêleraient des parcs technologiques, des espaces verts et des habitations.
D’une manière très générale, l’idée est d’attirer des entreprises afin qu’elles investissent et développent des technologies permettant d’innover en ce qui concerne les transports, la santé, l’environnement et la gestion des ordures, notamment par le recours à l’intelligence artificielle.
Or, depuis août 2020, la Ville de Québec s’est résolue à implanter une telle zone d’innovation dans le quartier de Maizerets. D’ici 2035, on prévoit au total des investissements de 12,5 milliards $ – la majorité venant du privé – dans ce secteur, ce qui représente plus de trois fois le coût du projet de tramway.
Pour ce faire, la Ville entend vendre 15 terrains publics – quatre d’entre eux n’ont pas encore été rachetés par la ville – à des entreprises privées. Des travaux de réhabilitation des terrains (démolition des entrepôts, décontamination des sols, remblayage) sont d’ailleurs déjà en cours.
Les citoyens veulent un moratoire
La présidente du Conseil de quartier de Maizerets, Marie-Hélène Deshaies, déplore le manque de transparence de la ville dans ses communications avec les citoyens du secteur à propos de ce projet d’envergure.
« Le Conseil de quartier pose des questions sur la ZILE à la conseillère Geneviève Hamelin ainsi qu’à l’administration municipale depuis 2019. Chaque fois on nous répond : ‘’attendez, les consultations s’en viennent’’. Et pendant ce temps, on voit les annonces s’enchainer. La Ville a même envoyé un document de près de 200 pages au Gouvernement du Québec dans lequel il détaille les grandes orientations de son projet – il va sans dire que les résidents de Maizerets n’ont pas eu leur mot à dire. »
Face au silence radio de l’administration municipale, Marie-Hélène Deshaies explique que le Conseil de quartier a décidé de prendre le taureau par les cornes. En mai dernier, le regroupement a d’ailleurs formulé six demandes concrètes à propos des 15 bâtiments concernés par le projet de la Zone d’innovation du Littoral Est.
« Nous voulons tout d’abord que la ville mette en place un mécanisme réel, avec des ressources et de vrais pouvoirs, de gouvernance partagée avec les citoyens, dit Mme Deshaies. C’est la base. »
« Puis, nous demandons qu’un large corridor de biodiversité et de mobilité active soit mis en place du côté sud du chemin de La Canardière. »
« Nous souhaitons par ailleurs que le site du garage municipal au coin Henri-Bourassa et Canardière soit converti en organisme à but non-lucratif géré par des citoyens, afin de permettre la mise en place de projets autogérés, tels que des ateliers partagés et des services de proximité. »
« Ensuite, nous voudrions que l’ancien dépôt à neige devienne un espace où les citoyens ont accès au fleuve. »
« Nous voulons aussi que la Ville renforce le réseau d’autonomie alimentaire en créant plus de zones d’agricultures urbaines. »
« Finalement, nous croyons qu’il est nécessaire de mettre en place un plan d’action pour créer de logements sociaux et abordables dans le quartier, dans l’optique de limiter le phénomène de gentrification qu’on y voit déjà à l’œuvre. Pour atteindre ces objectifs, nous demandons un moratoire sur la vente des 15 terrains », termine la présidente du Conseil de quartier.
La Ville et les entreprises privées
La grande discrétion de la Ville à propos du projet de la ZILE a conduit certaines personnes à penser que celle-ci serait en train de se vendre aux grandes entreprises privées œuvrant dans le domaine de la technologie.
Mais pour le conseiller municipal et candidat à la mairie Jean Rousseau, il convient de prendre les choses avec plus de nuances.
« Certes, l’administration en place a déroulé le tapis rouge pour les grandes entreprises. Ceci dit, ce n’est pas mauvais en soi. Dans le cas présent, c’est l’aura de secret entourant la Zone d’innovation qui est préoccupante et qui à elle seule éveille des soupçons. »
Selon M. Rousseau, ce projet doit être revu de fond en comble, et ce de concert avec les citoyens, malheureusement gardés à l’écart jusqu’ici.
« Aucune planification digne de ce nom n’a vraiment été faite pour les terrains concernés, et je dois dire que la Ville ne semble pas avoir de plan précis. Et comme les citoyens ne sont pas impliqués, ils sont inquiets. Pour ma part, je crois que les gens sont d’accord pour qu’on décontamine des terrains. Mais il ne faut pas répéter l’erreur de créer un mur d’entreprises et de couper ainsi l’accès à des espaces verts et à des lieux de promenades. Ce projet est à mon sens valable, tant et aussi longtemps que la haute technologie n’en devient pas la principale finalité. »
Une consultation publique dès la semaine prochaine
Plusieurs projets étant en cours d’élaboration en lien avec la future Zone d’innovation Littoral Est, la Ville lancera la semaine prochaine une consultation auprès des citoyens qui habitent ou fréquentent les quartiers de Maizerets et du Vieux-Moulin.
Dans le cadre de cette démarche, ceux-ci seront invités à partager leur avis entre autres à propos du développement durable, de la mobilité active, de l’habitation et des arbres.
Du côté du Conseil de quartier et de la Table pour un Littoral citoyen, on craint que cette consultation ne soit finalement que « trop peu, trop tard ».
« Nous ne voulons pas être consultés seulement sur des questions d’aménagement. C’est bien beau, les bandes de trottoirs, mais ce sur quoi nous souhaitons donner notre avis, c’est sur la vocation des terrains », conclut Marie-Hélène Deshaies.
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