À l’approche des élections municipales, Le Carrefour va à la rencontre des gens dans les 21 districts électoraux de la ville pour leur demander quelles sont leurs préoccupations, leurs désirs et leurs attentes. On s’est rendu cette semaine dans le district de Saint-Rodrigue, situé dans l’arrondissement de Charlesbourg.
Par Gabriel Côté
Située dans l’ancienne paroisse qui porte le même nom, la frontière sud du district électoral de Saint-Rodrigue donne sur l’arrondissement de La Cité-Limoilou, alors que ses frontières à l’est et à l’ouest donnent respectivement sur les arrondissements de Beauport et des Rivières.
Comme le reste de Charlesbourg se trouve pour ainsi dire dans sa cour arrière au nord, on pourrait voir dans Saint-Rodrigue la porte d’entrée de l’arrondissement, si bien sûr on adopte la perspective d’un citoyen du centre-ville.
Le vestibule
Alors qu’on quitte Limoilou pour entrer dans Saint-Rodrigue en traversant la 41e Rue, au niveau de la 1e ou de la 4e Avenue, on arrive aux Galeries Charlesbourg, qui sont un peu le vestibule du district.
Et si par nécessité ou par curiosité on entre dans ce centre commercial, on est immédiatement frappés par le caractère quelque peu moribond de l’endroit. Plus de la moitié des locaux – du moins c’est ce qu’il semble – sont inoccupés ; l’éclairage est sombre ; et bien qu’il y ait plusieurs personnes circulant dans les aires, on a l’impression que les lieux sont vides.
Les frères Trudel, qui sont aussi propriétaires de Place Fleur de Lys, ont récemment fait l’acquisition de ce centre commercial. Démocratie Québec et Québec 21 ont d’ailleurs déjà mentionné qu’ils approcheraient les frères Trudel afin de changer la vocation des Galeries Charlesbourg, comme ils le feront pour Fleur de Lys.
Sur un banc métallique, près de l’entrée 3, je vais à la rencontre d’une dame qui est assise avec à sa droite une petite boîte à lunch, et à sa gauche un sac de la pharmacie Brunet. Elle s’appelle Line. C’est un jour de canicule, et elle m’explique qu’elle vient ici pour se rafraîchir.
– Je m’assois ici presque tous les jours de l’été, pour profiter de l’air climatisée. Je viens aussi l’hiver, pour sortir de chez moi. Ça fait une place où aller. Et de toute façon, j’ai toujours des petites commissions à faire, chez Brunet ou au Hart. Je suis comme ça, moi.
– Vous rencontrez un peu de monde?
– Ça arrive, j’ai quelques amis. Des fois, on va au restaurant la Véranda, au bout du couloir. C’est très bon vous savez. Mais aujourd’hui je suis seule, alors j’ai mon lunch.
Line me dit aussi qu’elle ne s’intéresse pas à la politique, et encore moins à la politique municipale. Elle n’ira pas voter le 7 novembre.
– De toute façon, dit-elle, je n’ai pas le droit?
– Pourquoi donc? répondis-je, étonné.
– Je ne suis pas propriétaire. Ce n’est pas juste les propriétaires qui votent?
– Non, ça a changé.
– Bah ! Ça ne fait rien. Je n’irai pas pareil.
De fait, Line n’est pas seule. Aux dernières élections municipales, 53% des personnes inscrites sur la liste électorale dans ce district n’ont tout simplement pas voter. Bien des résidents rencontrés au hasard dans les rues et dans les parcs m’ont dit la même chose. « Je ne savais pas qu’il y avait des élections municipales cet automne. Je n’irai pas voter : c’est inutile, car ils sont tous pareils. »
Le quartier Saint-Rodrigue
En sortant des Galeries Charlesbourg, il faut passer sous un viaduc et traverser l’autoroute Félix-Leclerc pour atteindre le cœur de Saint-Rodrigue. Là, sur la 1e Avenue, se trouvent quelques commerces, dont plusieurs restaurants et une station service. Un peu plus haut, l’Église Saint-Rodrigue et le parc Maurice-Lortie.
Avant d’atteindre ces sites, la circulation automobile considérable contraint même les piétons les plus téméraires de s’arrêter à chaque lumière pour attendre le « bonhomme ».
Partout on attend un temps fou pour traverser la rue, et lorsque le petit homme apparaît enfin, on ne dispose que de 20 secondes pour traverser 4 voies, si à l’aventure on doit circuler d’est en ouest, ou l’inverse. « Trente secondes ne seraient pas de trop », me confie une personne âgée, au coin de la 1e Avenue et de la 46e Rue Est.
À quelques pas de tout ce trafic, juste derrière l’Église et à proximité du parc se trouvent les Loisirs Saint-Rodrigue. Le directeur général de cette organisation, Mathieu Loranger, considère que la Ville montre suffisamment d’intérêt pour le district, bien qu’il y ait beaucoup de travail à faire.
« Saint-Rodrigue, c’est un quartier très éclaté, remarque-t-il. Il y a beaucoup de nouveaux arrivants et de personnes de différentes nationalités ; il y a aussi beaucoup de monde qui ont de faibles revenus. Pour donner une idée, on a mis en place avec l’aide du député Jonatan Julien un frigo communautaire. Il se remplit vite, mais il se vide encore plus vite. »
« Nous accueillons aussi pendant l’été un camp de jour qui accueille des jeunes ayant des troubles de comportement, poursuit M. Loranger. On voudrait mettre sur pied un service de loisir spécialisé tous les samedis pour ces jeunes, afin de leur faire vivre des réussites avec des intervenants qualifiés, et aussi, disons-le, pour offrir un répit aux parents. Je suis en train de faire les demandes. On a besoin en tout de 16 630$ pour couvrir les 37 samedis concernés. On aurait besoin d’un appui financier de 5000$ de la part de la Ville. »
« Néanmoins, il y a aussi des gens très aisés dans le quartier, et ceux-ci ont des besoins et des préoccupations différentes. Par exemple, il faut absolument refaire les surfaces des terrains de tennis à Maurice-Lortie », conclut le directeur des Loisirs Saint-Rodrigue.
Vers l’ouest : un problème de rats?
En se déplaçant vers l’ouest, on croise une autre rue commerciale qui aurait « besoin d’amour », selon la formule consacrée. Il s’agit de la 3e Avenue Ouest, où est située la Halte Charlesbourg.
Mais avant de croiser cette artère, on se trouve dans un quartier résidentiel très calme, où plusieurs maisons construites dans les années quarante ont su résister à l’épreuve du temps. De gros arbres font cadeau de larges ombres aux promeneurs fatigués par un jour de canicule.
En marchant un peu, on finit immanquablement par croiser l’école primaire la Fourmilière. Il y a de nombreux enfants dans le quartier. Des parents rencontrés près de la jolie école confient d’ailleurs leur soulagement à propos des nouvelles limites de vitesse, qui sont passées partout dans le quartier de 40 km/h à 30 km/h.
« Avant, ça circulait très vite et c’était parfois inquiétant. La Ville a bien fait de baisser les limites de vitesse », dit une mère de trois enfants, qui s’est aussi dite enchantée par la réfection du parc Henri-Casault dans les dernières années.
Mais les choses sont peut-être plus sombres qu’elles ne le paraissent au premier abord. Une citoyenne qui a vécu dans ce quartier jusqu’à tout récemment, a déménagé il y a quelques mois plus haut dans le district, au niveau de la 67e Rue. Elle aimait son quartier, et ne l’aurait sans doute pas quitté si ce n’était d’un fâcheux problème de rats.
« Nous avons dû condamner notre cabanon, car il était infesté. On retrouvait des rats sur les terrains. Je les entendais circuler chez moi, on voyait des traces dans la poussière et on retrouvait des excréments derrière les électro-ménagers. Pour régler le problème, la Ville a nettoyé six fois les égouts l’an dernier. Mais on continuait de trouver des rats, alors on est parti. C’est qu’on avait peur pour nos enfants. »
Un traumatisme chez les résidents du nord
Au nord du district, le lien de confiance entre la Ville et plusieurs résidents s’est brisé dans la saga des condos Maria-Goretti. On se rappelle que bien des citoyens s’opposaient non pas à la densification en tant que telle, mais à la manière de densifier préconisée par la Ville de Québec.
Alors l’administration municipale a dû invoquer l’article 74.4 de sa Charte afin de modifier, en passant par-dessus diverses instances, le zonage d’un terrain, pour y réaliser un projet immobilier.
« Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne nous fait pas plaisir, explique un résident du secteur. Au fond, on sait que c’est la manière de procéder à la Ville de Québec, mais quand ça nous arrive, c’est vraiment fâchant. En plus, avec les consultations qui se faisaient en ligne, il était impossible d’avoir de réels échanges. On a beau remarquer qu’on rejoint plus de monde de cette façon-là, c’est aussi une maudite belle manière de museler les citoyens, c’est ça que je pense. »
Considérations politiques
À l’heure actuelle, le district de Saint-Rodrigue est vacant, puisque Vincent Dufresne a quitté ses fonctions en mars dernier, plusieurs mois avant la fin de son mandat.
M. Dufresne avait remporté ses élections avec une vaste majorité en 2012, en 2013 ainsi qu’en 2017, dans ce district où peu de gens se déplacent aux urnes. Ainsi il n’est pas étonnant que très peu de citoyens parmi ceux que j’ai rencontrés ignorent parfaitement le nom de celui qui fut pendant près de 10 ans leur conseiller municipal. Plusieurs personnes ignoraient aussi que Régis Labeaume ne se présente pas aux élections cet automne.
La plupart des commerçants de la première avenue semblent favorables à un passage du tramway devant chez eux dans une éventuelle phase deux du projet. Par contre, aucun d’eux ne m’a semblé prêt à militer pour que les choses se fassent plus rapidement.
Parmi les résidents, au contraire, on sent une certaine opposition à ce projet, même s’ils sont touchés moins directement que ceux qui vivent au centre-ville. Plusieurs abordent le sujet sans même que je leur pose la question.
« C’est un projet qu’on se fait rentrer dans la gorge. On en veut pas du tramway. Les autobus sont vides, alors qui va prendre ça ? Ça va juste nuire à mes déplacements », déclare un entrepreneur en construction.
Pour l’instant, une seule candidate est connue dans ce district. Il s’agit d’Anabelle Beaudoin de Démocratie Québec. Mme Beaudoin est déjà très active dans Saint-Rodrigue. Elle va à la rencontre des citoyens pour discuter avec eux et pour comprendre leurs préoccupations. Dans le contexte, ce travail de terrain pourrait lui permettre de récolter plus de votes le 7 novembre.
Toutefois, la pente est raide. Son parti n’a obtenu que 11% des voix en 2017. « Ça ne fait rien, on est en 2021. Les gens devront choisir entre quatre partis, qui proposent des choses différentes de ce qui était proposé en 2017. Je crois en mes chances » a dit Mme Beaudoin.
Un taux de participation bas pourrait favoriser le candidat d’Équipe Marie-Josée Savard, si celui-ci parvient à se présenter comme le candidat de la continuité. Mais le dossier des condos Maria-Goretti sera lourd à porter.
Sinon, il n’est pas déraisonnable de penser que l’opposition de la population au projet de tramway favorise dans ce secteur le candidat de Québec 21, qui devra faire l’effort d’en faire l’enjeu de la campagne.
« Les gens de Saint-Rodrigue, comme ceux du reste de Charlesbourg, se sentent laissés pour compte, dit Jean-François Gosselin, chef de Québec 21. Plusieurs craignent la phase deux du tramway, et ils sentent qu’ils ne sont pas considérés quand la Ville prend des décisions. À preuve, le transport en commun y est plus inefficace qu’ailleurs. Ça prend énormément de temps partir de Charlesbourg pour aller en ville en prenant l’autobus, alors les gens préfèrent prendre leur voiture. »
Bref, la victoire dans Saint-Rodrigue ira à celui qui saura faire sortir les citoyens de l’indifférence, ou bien en profiter pour se faufiler discrètement à l’Hôtel de Ville.
Autres remarques
- La bande cyclable qui va en direction nord sur la 4e Avenue pour rejoindre la 5e Avenue et éventuellement le Corridor des Cheminots est en piètre état, en particulier sous le viaduc sur lequel passe l’autoroute Félix-Leclerc.
- Il y a dans le parc Henri-Casault un petit espace pour faire de la planche à roulettes. Des parents m’ont signifié qu’ils aimeraient que de plus gros modules soient installés, car ils doivent se déplacer loin pour amener leurs enfants faire de la planche dans un parc ayant plus d’envergure. Et ce n’est pas l’espace qui manque.
- Il y a dans le même parc des barres d’exercices, comme on en voit parfois ailleurs. Un athlète m’a dit qu’il aimerait voir plus d’installations de ce genre partout dans la ville.
Ce district inclus aussi Les Jésuites. C’est vrai que Charlesbourg passe dans l’oubli. C’est une erreur d’avoir regroupé les deux districts, ce n’est pas les mêmes besoins, il y a déjà le parc de la terrasse Bonne-Air, complètement à l’est. C’est trop loin pour les jeunes qui veulent faire du skate. Moi je demeure dans Les Jésuites et j’aurais aimé entendre les candidats sur la question des aqueducs, toujours en travaux, depuis des mois. Ainsi que, nos routes en déroutes.