Voyons, qu’est-ce que t’as ? m’a demandé ma blonde.
Rien, chérie, tout est beau. La fille du café où je m’étais arrêté pour boire un kombucha au gingembre avant de retourner chez moi m’avait lorgné d’une drôle de façon, elle aussi. « Vous êtes sûr que vous êtes correct, monsieur ? », m’avait-elle dit en me tendant mon breuvage et en m’offrant de m’asseoir.
Ben, que j’ai dit à ma blonde, je suis de bonne humeur, je pense.
Est-ce que je dois m’inquiéter ? T’as rencontré quelqu’un ? Tu sens le gingembre, m’a-t-elle répondu.
Non, mon amour. C’est le Corridor des cheminots, c’est tout, je te le jure.
En effet, je venais de faire un tour sur cette belle piste cyclable, qui passe sur l’ancien tracé de chemin de fer de la Quebec and Lake St-John Railway. Je sais que je ne suis pas seul, c’est ma piste cyclable préférée à Québec, et de loin. Elle est juste assez longue pour qu’on se sente rassasié quand on la fait au complet, et si belle en plus que l’aller-retour n’est pas emmerdant. Au contraire, c’est un vrai plaisir.
Il faisait soleil, quelques feuilles jaunies dormaient doucement sur la piste, le vent sifflait doucement entre les arbres.
Vraiment, c’était le genre de journée où, adolescent, il me plaisait de fuir avec mes copines le regard indiscret des maîtres d’école. Maintenant, c’est du vélo que je fais, quand l’occasion se présente d’arracher un moment de liberté à l’état de servitude qui, de manière imperceptible et contre mon gré, est devenu mon quotidien.
En ces lieux où couraient autrefois des rails, j’ai pistonné aussi vite que je le pouvais, m’imaginant par instants que j’étais moi-même une locomotive. Tchou, Tchou !
« Oh. Désolé, madame. Je ne voulais pas vous faire peur, c’est sorti tout seul. »
Car c’est aussi une piste où on peut se donner pour la peine, sans avoir l’impression de déranger, contrairement aux pistes cyclables plus achalandées, près du centre-ville, où il y a tellement de gens que chacun tape inévitablement sur le piton d’un autre. Et comme tout le monde a le piton sensible…
La rue Racine
En tout cas, j’ai menti à ma blonde, j’ai rencontré quelqu’un, et c’est pour ça que j’étais sur le corridor des cheminots cet après-midi là. Émilie Robitaille, la candidate d’Équipe Marie-Josée Savard dans Loretteville – Les Châtels, m’avait donné rendez-vous sur la rue Racine. Elle ne fait pas de vélo, ça ne fait rien, je suis allé pareil.
Il fallait sortir de la piste cyclable à Wendake pour rejoindre le boulevard Bastien. Rendu à la réserve, je savais que je devais être plus attentif, pour éviter de m’égarer, ce qui est arrivé malgré tout. C’était angoissant, car, voyez-vous, je ne quitte pas souvent la ville de Québec. Et si par hasard quelqu’un à la ville lit ceci, ce serait bien en maudit d’indiquer le nom des rues, à l’intersection de la rue Racine et du boulevard Bastien.
J’ai finalement trouvé. C’est une rue étroite, où il passe beaucoup de voitures, et dont la bordure est pas mal maganée par endroit. Certains de mes amis cyclistes diraient que « c’est inacceptable et qu’il faut faire quelque chose ». Moi, je conseillerais seulement à ceux qui passent par Loretteville de faire du vélo ailleurs, tant que possible.
Émilie Robitaille m’attendait près de l’église. C’est une femme au sourire sincère et à la conversation facile. Dès mon arrivée, elle a commencé à me parler comme si nous nous connaissions depuis longtemps. C’est le genre de personne qui nous donne l’impression, quand on s’arrête quelques minutes pour jaser avec elle même pour la première fois, qu’une discussion entamée bien avant se poursuit, là où on l’avait laissé en se disant à la prochaine.
Alors nécessairement, quand elle m’a dit quelques minutes plus tard qu’elle faisait de la politique « parce qu’elle aime le contact humain et qu’elle a envie de servir », je n’ai pas sourcillé. C’est quelque chose que tous les candidats proclament imprudemment, parce que c’est bien ce qu’il faut dire, mais elle, on la croit.
Spontanément, des gens s’arrêtaient à notre rencontre. Je serrais mon crayon dans ma main, convaincu que j’étais d’avoir été reconnu par des lecteurs de La campagne municipale à vélo, tout fin prêt à signer des autographes. Mais ils n’avaient que faire du petit vaniteux avec son Kodak et son carnet de notes – ils cherchaient un renseignement, et la dame aux leggings colorés les mettait peut-être en confiance.
Alors que je regardais douloureusement une vitrine laissée à l’abandon, en me disant que cette rue ressemble par endroits à un champ de ruines, Émilie Robitaille a deviné mes pensées.
« La rue Racine, c’est le cœur de Loretteville. Les gens disent qu’elle est en décrépitude, qu’elle se meurt, mais c’est qu’ils ont une lecture erronée de la situation. Les discours qui veulent que la rue Racine redevienne commerciale ne sont pas de mon goût. Les gros commerces, ils se sont installés sur de l’Ormière et sur Chauveau, juste à côté, ils ne reviendront pas ici. Cette rue, c’en est une pour les commerces de proximité », explique-t-elle.
D’accord Émilie, mais qu’est-ce qu’il faut faire concrètement ?
« La plupart des immeubles ont leur premier étage zoné commercial. D’une part, je crois qu’il faut s’asseoir avec les propriétaires, et voir s’il est possible de rendre ce premier étage résidentiel, dans bien des cas. D’autre part, il faut faire en sorte que la rue soit plus belle, et aider les commerçants dont les enseignes ou les devantures auraient besoin d’amour à remettre leur façade au goût du jour », souligne-t-elle.
Un peu plus loin, à quelques pas de la bibliothèque, un petit terrain vague est parsemé de déchets. Divers contenants, autrefois utiles, gisent arrogamment sur le sol, comme pour attirer l’attention de la ville sur le fait qu’il n’y a pas de poubelle à cet endroit.
Remarquant ma fascination pour la scène – j’étais en train de la photographier – Émilie m’a expliqué sans amertume que c’était sans doute l’œuvre des jeunes de Loretteville.
« C’est une préoccupation pour certaines personnes plus âgées dans le quartier. Il y a beaucoup d’adolescents dans le secteur, et certains, pour se désennuyer, font du petit vandalisme. Ils prennent une échelle chez quelqu’un, et vont la laisser dans la cour de quelqu’un d’autre, des choses comme ça. Sur l’heure du diner, d’autres laissent leurs déchets par terre », remarque-t-elle candidement.
Avant de se quitter, je remarquai que je trouvais que la rue Racine avait du caractère, avec ses vieilles maisons et ses petits commerces. La candidate me regarda avec des yeux qui disaient un peu : « tu comprends, n’est-ce pas ? »
Oui, Émilie, je comprends. Dis-moi, est-ce qu’on peut trouver ça, du kombucha, à Loretteville ?
Le politicien-cycliste de la semaine
Le candidat de Démocratie Québec dans le district de Cap-Rouge Laurentien, Jean-Éric Fiorito, est un cycliste très sérieux. L’été, il roule sur un vélo Devinci blanc, acheté usagé en 2018. L’hiver, il a un vélo de montagne que de ses amis ingénieurs ont modifié pour le rendre le plus convivial possible dans des conditions difficiles.
« J’ai hésité longtemps avant de le faire, mais ça fait maintenant dix ans que je me déplace à vélo douze mois par année. Chaque jour, je pars de Cap-Rouge sur mon bicycle et je me rends au travail, sur la Colline parlementaire. Je passe par Versant-Nord et par Charest, c’est un véritable charme », explique-t-il.
Même si je devinais la réponse, j’ai demandé à Jean-Éric pourquoi il faisait ça. Il m’a regardé comme surpris qu’on puisse même poser la question.
« Parce que j’aime ça, c’est tout. Sur le vélo, on se sent libre. Bien sûr, il y a des jours plus souffrants, quand il pleut et qu’il vente fort par exemple. Mais ces jours-là, si ça ne nous le dit pas, on n’est pas obligé de pédaler, on peut se déplacer autrement. »
La faune
Encore cette semaine, je roulais sur la piste au bord de la rivière, le long d’un petit rideau formé par des arbres et des buissons. Bercé par le son de mes roues qui se frottaient contre l’asphalte et les feuilles mortes, je rêvassais paisiblement loin des obscures pensées qui assaillent ceux qui se préoccupent de politique municipale. Au dessus de moi, les oies cacardaient, le front sérieux et l’œil rivé vers le sud où la nature les appelle. Alors, je ne vis pas le crisse d’écureuil qui se faisait des provisions pour l’hiver sur la piste cyclable. Cette bête vicieuse se sentit probablement menacée par la vigueur de mon coup de pédale. Il se jeta dans ma roue, avant de fuir, blessé peut-être, dans les buissons.
G.C.
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