Ce jeudi midi avait lieu la première rencontre d’un cycle de conférences, « Regards croisés sur le débat linguistique au Québec : au-delà du projet de loi 96 », dans laquelle Jacques Beauchemin propose de réfléchir la loi 96 comme un enjeu proprement politique.
Jacques Beauchemin enseigne à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis 1993 et est l’auteur de plusieurs ouvrages qui traitent de la souveraineté et de l’identité québécoise. Il a aussi reçu en 2014 la Médaille de la Société historique de Montréal pour sa contribution à l’avancement de l’histoire du Québec.
Une problématique sociologique
Jacques Beauchemin aborde ce qui selon lui joue contre le projet de loi 96, soit le caractère non évident d’une loi à portée culturelle et identitaire. L’idée de protéger la langue française impliquerait une défense nette d’une identité culturelle, ce qui aujourd’hui n’est pas quelque chose qui apparait évident.
En effet, Jacques Beauchemin rappelle la reconnaissance actuelle et dominante de la légitimité de la diversité des communautés. Ce qui est d’abord et avant tout reconnu, c’est la pluralité d’identités politiques et culturelles, et non une unité ou une identité commune.
Selon lui, dans ce cadre réflexif, le problème de la loi 96 apparait comme sociologique. La loi s’insère dans un contexte sociologique particulier qui rend difficile le fait de penser la notion d’identité ou de nation.
En ce sens, vouloir faire du français la seule langue officielle au Québec à quelque chose de sociologiquement inactuel.
La légitimité relative du peuple québécois
Jacques Beauchemin insiste parallèlement sur le statut politique du Québec, soit celui d’une « petite nation qui n’a pas les moyens pleins et entiers pour agir ». Cette réalité politique est conséquemment selon lui un obstacle à la légitimité de l’affirmation des Québécois comme peuple distinct ayant des traits distinctifs comme la langue française.
La citoyenneté québécoise étant en constante tension avec la citoyenneté canadienne implique selon le sociologue un constant besoin de « faire comme si » le Québec était un état souverain. Le statut de petite nation s’accompagne d’une « mauvaise conscience intégrée par les québécois », affirme-t-il.
Ceux-ci se posent la question du moyen d’affirmer la prééminence de leur identité, puisque cette dernière n’apparait pas justifiée par une reconnaissance politique du Québec comme état souverain.
La question ou l’enjeu principal est donc pour Jacques Beauchemin proprement politique. « Affirmer la loi 96, c’est construire le sujet politique québécois, soutient-il, c’est l’inviter à s’affirmer et à faire comme si, alors que sa légitimité est relative. »
La culpabilité politique
C’est ce qui amène Jacques Beauchemin à conclure que le véritable problème que pose le projet de loi 96 n’est pas celui d’applicabilité ou de mise en oeuvre, mais est d’abord et avant tout politique.
Tant que le Québec est une société ou une nation incertaine, relative à une citoyenneté plus grande qui est canadienne, les questions à portée culturelle et identitaire souffriront toujours d’un manque de légitimité.
Au fond, Jacques Beauchemin soutient que tant que le Québec n’aura pas acquis le statut d’une nation indépendante, la volonté de protéger le tissu identitaire, comme la langue française, souffrira toujours d’une forme aliénante de culpabilité politique.
Conférences à venir
Voici le lien pour la deuxième conférence qui aura lieu le 8 décembre.
Ce cycle de conférences organisé par le Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ) de l’UQAM se déroulera jusqu’en avril 2022. Il a pour but de mettre en perspective les relations et les frontières culturelles, politiques et identitaires constitutives de l’enjeu linguistique au Québec.
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