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En attendant des jours meilleurs : la grève ouvrière de 1878

Photo : Archives BanQ.

Le 12 juin 1878, vers 14h30, Édouard Beaudoire est atteint à la tête par une balle perdue de carabine au coin des rues Dog Hill (côte du Colonel-Dambougès aujourd’hui) et Saint-Paul situées dans le port de Québec.

Par Julien Renaud-Belleville

Le jeune ouvrier de 22 ans observait une violente confrontation entre des soldats de la jeune armée canadienne et des ouvriers en grève. Outre son décès, c’est une dizaine de grévistes, soldats ou simples curieux qui ont été blessés dans cet affrontement qui marqua alors le point culminant de la grève des ouvriers de Québec de 1878.

Au commencement, la misère

En 1873, une crise économique mondiale frappe les activités du port de Québec qui avait connu une période de prospérité tout au long de la première moitié du 19e siècle. À la veille de la Saint-Jean-Baptiste de 1876, Le Canadien parle alors d’une crise « universelle » dans laquelle « […] le spectacle est le même partout. Faillites, ateliers et manufactures fermés, chômages et grèves, stagnation dans les affaires de tout genre ». Le port de Québec n’y échappe point, et c’est plus des deux tiers des exportations de bois qui s’évaporent en 1878. Pour les travailleurs, le chômage et la misère les attendent.

Pour donner de l’ouvrage aux chômeurs, le gouvernement provincial met en place des travaux publics. Le 9 mai 1877, Le Courrier du Canada signale à ses lecteurs que la Cité aura finalement ses édifices parlementaires pour abriter le gouvernement provincial. Employant 400 ouvriers, l’avarice des entrepreneurs Cimon et Piton arrêtera ce nouveau chantier au début du mois de juin 1878. Profitant d’un énorme bassin de chômeurs, les promoteurs vont abaisser les salaires de 60 à 50 cents par jour. Pour les travailleurs s’en est trop, ils se placent en grève et déclenche un conflit original qui fera trembler les autorités par son intensité.

Les tactiques

Le 3 juin 1878, les ouvriers travaillant sur les rails du tramway de la rue St-Jean rejoignent les grévistes des futurs édifices parlementaires. L’objectif est d’imposer un salaire minimum de 1$ par jour pour l’ensemble des corps de métiers du territoire de la Cité. Dans les premiers jours du mouvement, les ouvriers ont droit au paternalisme des autorités et des journaux conservateurs. Le 4 juin, le premier ministre Joly s’adresse aux gréviste en leur recommandant : « […] dans l’intérêt de leurs familles, de retourner à l’ouvrage et de faire leur position aussi bonne que possible en attendant des jours meilleurs » (Le journal de Québec, 4 juin 1878). Le Courrier du Canada demande que chacun : « […] agisse dans un esprit d’entente, d’amour et de charité, pour le bien général […] » (Le Courrier du Canada, 11 juin 1878). Les ouvriers avaient besoin d’autres choses que d’amour et de charité : un salaire décent.

Pour se faire entendre, les grévistes utilisent des tactiques répandues dans l’univers ouvrier nord-américain. La mobilité est la clé : en groupe, ils se déplacent de lieu de travail en lieu de travail pour convaincre les ouvriers à rejoindre le mouvement et à forcer les employeurs à signer un document stipulant qu’ils s’engagent à donner 1$ par jour à leur main-d’œuvre. 

La journée du 10 juin 1878 est un bon exemple. Partant de la basse-ville de Québec, 700 hommes paradent sur les Plaines d’Abraham et se rendent sur les chantiers longeant le boulevard Champlain. Ils arrêtent d’abord au chantier de John Roche où environ une dizaine de policiers sont présents. M. Roche refuse de signer le document. La situation dégénère, les policiers sont attaqués par une pluie de pierre qui blesse 3 constables et John Roche est alors forcé de signer le document. (Le Courrier du Canada, 10 juin 1878). Par la suite, le groupe se dirige vers les chantiers d’Henry Dinning et y force l’arrêt du travail. Les grévistes passent par la suite au « Palais » (Gare du Palais) pour saccager le bureau de Thomas McGreevy un entrepreneur de chemins de fer. Finalement, les ouvriers en grève se rendent à la manufacture M. G. E. Paré sur les bords de la rivière Saint-Charles et forcent sa fermeture. Le 11 juin, la majorité des manufactures et chantiers sont fermés à Québec (Le Courrier du Canada, 12 juin 1878).

L’affrontement

La journée du 12 juin 1878 révèle la misérable situation dans laquelle se trouve les ouvriers. Après avoir affrontés l’armée et la police devant les moulins Peters, situés au coin des rues Prince-Edward et Grant (aujourd’hui Monseigneur-Gauvreau), près de 3000 grévistes naviguent dans les rues de Québec. En après-midi, ils aboutissent sur la rue St-Paul devant l’épicerie d’un des plus grands marchands de Québec, Jean-Baptiste Renaud. Un pillage de farine s’en suit : 200 barils et 150 poches, soit 2000$ d’inventaire (environ 50 000 $ aujourd’hui). Le butin est soit revendu sur place à un prix dérisoire ou évacué par des charrettes ou chaloupes. Le vol semble être la dernière option pour survivre.

À ce moment, la ville est sous tension : le maire Chambers demande que deux détachements des soldats soient envoyés vers la rue St-Paul. Face à face, les grévistes arrosent les soldats de pierres, alors que ceux-ci font une première charge qui avorte, mais blesse certains manifestants. Le maire fait la lecture du Riot act qui autorise l’armée de tirer à balles réelles. La première décharge ébranle les grévistes, mais la majorité reste en rang. La deuxième atteint sérieusement deux hommes, dont Édouard Beaudoire. Les grévistes fuient de tous les côtés.

Le lendemain, trois régiments de Montréal arrivent à Québec pour rétablir l’ordre, alors que 150 citoyens sont assermentés comme « constables spéciaux » pour patrouiller les rues (Le Courrier du Canada, 13 juin 1878). La grève est terminée, les ouvriers retournent à l’ouvrage et les lieux de travail sont activement surveillés. Rare gain pour l’époque, les travailleurs reçoivent 20 cents d’augmentation. Quant à eux, les chômeurs doivent attendre des jours meilleurs. 

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