Ceux et celles qui habitent le Vieux-Limoilou et la portion Est du quartier Saint-Roch ont probablement déjà profité des attraits que nous offre le pont Dorchester, que ce soit lors de chaudes journées d’été ou de ces après-midi ensoleillés d’hiver.
Par Julien Renaud-Belleville
En passant sur le pont, quoi de mieux, l’été, que d’observer ces familles de canards se frayer un chemin entre les mouettes qui se reposent sur les bancs de sable à la marée basse. L’hiver, en combattant le vent typiquement froid de la Capitale, on se demande qui sont ces courageux (et casse-cous!) qui marchent ou pratiquent le ski de fond sur la rivière Saint-Charles gelée. Avant tout, pour les marcheurs ou les cyclistes, le pont Dorchester reste un atout incontournable pour la mobilité urbaine.
Traverser la Saint-Charles
Le premier pont Dorchester voit le jour en 1789 à l’emplacement de l’actuel pont Drouin. La rivière Saint-Charles formait alors une barrière naturelle qui rendait difficile l’accès aux terres d’Hedleyville qui forment aujourd’hui Limoilou, et vice-versa. Il faut attendre 1820-1821 pour que le pont Dorchester soit construit à son actuel emplacement par des intérêts privés. Un péage est instauré pour payer sa construction. La nouvelle localisation est plus stratégique : en avec un pont plus à l’est que l’ancien, les promoteurs s’assurent que les utilisateurs du auront un accès privilégié au faubourg St-Roch qui prend de l’expansion à cette époque, notamment avec son marché à la place Jacques-Cartier.
En 1850, le pont Dorchester passe aux mains de la Commission des chemins à barrière de Québec qui maintient les droits de passage pour financer des rénovations. Pour résoudre des difficultés financières de la Commission, une loi est sanctionnée le 19 mai 1860 qui obligera tous les piétons, adultes ou enfants, à payer 1 sou pour traverser le pont. Toutes les exemptions de péage pour les chevaux, animaux ou voitures sont abolies. Cette décision provoquera alors d’importants remous au sein de la population. Le Canadien dénonce ce nouveau péage qui « […] résulte [d’]une grave injustice pour les ouvriers des chantiers de l’autre côté de l’eau et pour les enfants qui ont à le franchir plusieurs fois par jours pour aller à l’école » (Le Canadien, 4 juin 1860). Avec cette nouvelle loi, la mobilité urbaine des plus démunis est menacée.
Destruction
Le 2 juin 1860, Le Journal de Québec rapporte à ses lecteurs que durant la soirée du 1 juin : « […] un grand nombre d’hommes se sont réunis tumultueusement auprès du pont Dorchester, en ont brisé la barrière et porté triomphalement les débris dans les rues ». Dans son édition du 4 juin 1860, Le Courrier du Canadaprécise l’affaire. Vers 21h00, 1200 à 1500 ouvriers de Saint-Roch auraient arraché ladite barrière du pont « […] ainsi que les robustes poteaux qui la supportaient, et jetée, sans plus de cérémonies, dans la Rivière St. Charles ». De son côté, Le Canadien rapporte les mêmes faits que les deux autres journaux et précise que la population du quartier avait menacé : « […] la police qui était venue sur la place et le gardien du pont de les écharper s’ils ne s’effaçaient pas bien vite » (Le Canadien, 4 juin 1860).
Le Journal de Québec adopte alors une attitude « loi et l’ordre » sans vouloir comprendre la raison de cet incident. Le 2 juin 1860, le rédacteur est clair : « […] il faut que la loi soit respectée et que les coupables soient atteints. Il ne faut pas que l’autorité permettre de la violer impunément ». Faire payer 1 sou pour les piétons est une obligation « […] pour l’entretient d’un pont très coûteux! » (Le Journal de Québec, 2 juin 1860). De son côté, Le Canadien adopte une position nuancée qui condamne la « violence » tout en décrivant cette loi comme une provocation et injuste (Le Canadien, 11 juin 1860). Dans des mots assez durs contre les autorités, le rédacteur du Canadien précise : « La pauvre classe des travailleurs est ainsi soumis à une sorte d’exaction qui pèse lourdement sur sa pénurie déjà assez grande, et cela a poussé au comble de l’indignation toute la population du quartier […] » (Le Canadien, 4 juin 1860). Toujours à la recherche des coupables après plusieurs jours, une récompense de 300$ est offerte pour de l’information qui mènerait à une arrestation (Morning Chronicle, 28 juin 1860).
Les coupables ne seront jamais retrouvés et s’en suivra un vrai combat de coq entre les rédactions du Canadien et du Journal de Québec sur des technicalités législatives peu intéressantes. Plusieurs années plus tard, Le Soleil signale à son tour l’absurdité d’un péage sur le pont Dorchester, décrit comme délabré et vieillit (Le Soleil, 4 juillet 1903). On peut y lire que le péage est excessif pour les citoyens qui veulent atteindre la rive-nord de la Saint-Charles et que ceux-ci : « […] sentent bien qu’ils sont en arrière de leur siècle, et qu’il faudra en finir […] avec ses coutumes d’un autre âge » (Le Soleil, 4 juillet 1903). C’est finalement en 1911 que les péages seront abolis lorsque la ville de Québec rachète le pont. Depuis, les citoyens, tout comme les visiteurs, peuvent s’arrêter et observer la rivière s’écouler tranquillement tout à fait gratuitement.
Commentez sur "Une petite histoire du pont Dorchester"