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Le dernier Houellebecq : comment « rester vivant »

Le livre Anéantir de HouellebecqCrédit photo : Sophie Williamson.

Le dernier livre de Houellebecq, Anéantir, un pavé de 736 pages, a fait beaucoup parler en France et un peu au Québec.

Certains des fidèles lecteurs de Houellebecq le trouvent brillant, lucide, même prophétique. Il est parfois qualifié de « meilleur auteur français du siècle » (ce qui n’est peut-être pas faux). Mais l’excitation des fans énerve : on a envie de leur dire que Houellebecq écrit toujours à peu près le même livre, semble-t-il.

Par ailleurs, les critiques qui l’accusent de cynisme, d’aigreur, de misogynie, ou de xénophobie semblent manquer de bonne foi. Ils paraissent avoir lu Houellebecq superficiellement, avec un regard moralisateur et une vue courte ou partielle.

Entre l’éloge et la condamnation

Odile Tremblay dans Le Devoir affirme que Houellebecq est « persuadé que le monde court à sa perte ». Christian Desmeules, aussi dans Le Devoir, écrit que dans Anéantir, l’auteur est à droite de l’échiquier politique. Chantal Guy dans La Presse souligne d’emblée le « désespoir et le désabusement » de l’auteur. Elle écrit aussi que ses personnages sont des « antihéros un peu misérables et malheureux ».

Louis-Philippe Ouimet pour Radio-Canada soutient plutôt que « ce roman est un éloge de la vieillesse et lance un appel à la compassion », mais c’est pour ensuite statuer qu’il y a « une lourdeur ainsi qu’une vulgarité aussi redondante qu’épuisante ».

Il semble que ce soit trop de convictions pour l’esprit de Houellebecq. Sans faire de lui « l’écrivain de la nuance », il parait tout de même oeuvrer ailleurs, dire autre chose qui ne cadre pas avec le registre des chroniqueurs. Ils se sont d’ailleurs évertués à résumer le roman, retraçant les évènements et les péripéties importantes, manquant par là encore plus le sens de l’oeuvre.

Tout cela fait penser à ce que disait le romancier et essayiste Philippe Muray dans son journal, soit qu’il répugnait à publier ce qu’il écrivait. « Il s’agit d’empêcher les autres de me vivre (à la façon dont ils vivent tout : en salopant). »

Le « réalisme » de Houellebecq

Les chroniqueurs s’entendent sur une chose : Houellebecq parait dans Anéantir plus optimiste que d’habitude, moins « aigri ». C’est peut-être vrai.

Dans un entretien du 2 décembre 2021 à la Sorbonne, Houellebecq explique lui-même qu’il adopte une posture dite « réaliste ». C’est-à-dire qu’il n’est ni pessimiste, ni optimiste, mais entre les deux. Il ne prend pas position activement et résolument en faveur ou défaveur du monde. Il se place plutôt à côté ou sur le côté. Cela fait penser à son personnage Paul qui dit « avoir vécu sur le côté ».

Houellebecq dit vouloir « voir la vie ni plus mauvaise, ni meilleure qu’elle n’est ». Veut-il la voir « telle qu’elle est en réalité » ? Pas vraiment non plus. Il précise paradoxalement qu’il est absurde en littérature d’être réaliste. Deux personnes n’ont jamais la même perception du monde, parce qu’elles n’ont pas la même sensibilité ou le même corps, explique-t-il. Donc, une description réelle d’un évènement est un idéal hors d’atteinte pour la fiction. L’idée du réel est elle-même fictive.

Il semble ainsi que Houellebecq tente de peindre le monde sans s’illusionner sur la nature de la littérature. Son exigence est forte, mais il ne perd pas de vue que les choses ne se laissent ni dire facilement, ni jamais complètement.

Houellebecq explique aussi dans l’entretien ne pas être d’accord avec le fait d’accepter le monde tel qu’il est. En gros, il s’oppose à cette réalité qu’il tente de montrer. Il me semble qu’ici réside un aspect peut-être essentiel du propos de l’écrivain : les hommes ont besoin de remèdes (et ils y sont portés naturellement).

Il se fait l’explorateur de ses diverses manières de vivre, ou de ne pas vivre, grâce aux antidotes, de s’insérer dans le monde ou de s’en extraire.

Des degrés de conscience

Il n’y a pas seulement les mensonges qu’on se raconte qui comptent et valent la peine d’être racontés, mais aussi le degré d’adhésion à ces mensonges, notre niveau de conscience et/ou de lucidité. C’est un thème qui apparait central dans le roman.

Le père de Paul, sortant de son coma, est incapable de bouger et de communiquer, même si les spécialistes assurent qu’il entend et reconnait son entourage. Paul lui-même perd quelquefois complètement la notion du temps. Le texte nous fait aussi passer brusquement du réel à ses rêves.

Mais le père de Paul ne semble pas être plus éloigné de la réalité que les autres personnages qui utilisent des moyens pour pouvoir supporter leur existence, que ce soit le travail, la religion, la spiritualité, la politique, la sexualité ou l’ivresse.

Houellebecq ne semble pas condamner ces moyens comme des fuites ou des aveuglements. Il ne se fait pas le défenseur de la lucidité complète, stérile et sèche : « la réflexion et la vie sont tout simplement incompatibles », écrit-il. Il montre simplement que les êtres humains en général ont besoin de raisons pour vivre, pour « adhérer à la vie ».

Houellebecq pose aussi la question de savoir pourquoi certains humains s’accrochent et d’autres non. La soeur de Paul démontre une croyance tenace en Dieu, en la vie, tandis que son frère Aurélien y renonce dès qu’il croit son espoir amoureux impossible. La zone d’incertitude dans laquelle se trouve plongée Paul en fait un personnage de choix pour explorer cette question.

« Je suppose que, jusqu’à présent, j’ai réussi à conserver certaines illusions sur le monde. Enfin, je sais que ce sont des illusions, mais je n’en suis pas certain à 100%, vous comprenez ? »

Ici, l’intrigue politique jugée comme « une toile de fond secondaire » ou comme « un thriller artificiel » par certains chroniqueurs prend tout son sens. Ce qui est intéressant est de voir que malgré une sorte de déclin de l’existence humaine, les choses continuent d’arriver, en grand ou en petit, « l’histoire se fait », pour des motifs qui sont idéologiques, pragmatiques ou égoïstes. Les attentats terroristes sont nécessaires pour poser la question de la participation humaine au monde ; ils correspondent à l’évènement « limite », ou à l’exception.

En général, comme le dit Houellebecq, « la vie des gens est peu de choses ».

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