Rien hormis les discussions entourant les préparatifs en vue de la manifestation de cette fin de semaine n’a vraiment excité les passions cette semaine sur la scène municipale. Au reste, plusieurs petits évènements qui ne sont pas du tout dénués d’intérêt ont marqué les derniers jours.
L’une des bases de l’exercice du pouvoir est d’être en mesure de voir les problèmes venir à l’avance, et d’éviter au possible qu’ils ne s’actualisent. C’était sans doute plus difficile pour la ville d’Ottawa, comme c’est là qu’ont eu lieu les premières manifestations de camionneurs. Mais à Québec, il aurait été impardonnable de ne pas prévoir les possibles débordements, et il faut bien dire que l’administration municipale s’est comportée de façon responsable, il y a deux semaines lors des premières manifestations.
En prévision des rassemblements qui ont lieu cette fin de semaine, le maire Bruno Marchand a donné un tour de vis supplémentaire en octroyant de nouveaux pouvoirs au chef de police, qui pourra désormais prendre toutes les décisions sur la circulation, le stationnement et la fermeture des rues.
Ce qui a causé certains débats dans cette approche, c’est que ces nouveaux pouvoirs ne sont pas exceptionnels, mais permanents. La conseillère municipale de Limoilou, Jackie Smith, s’est interrogé sur la façon de faire du maire, et elle aurait préféré que le conseil de ville puisse se prononcer. « Donner des pouvoirs aux policiers de façon permanente, sans débat, c’est problématique », a-t-elle dit.
De fait, si un débat avait eu lieu, il y a fort à parier que ces pouvoirs auraient été octroyés au plus de façon temporaire. Le chef de l’opposition, Claude Villeneuve, ne s’est pas opposé à ce que la police ait ces pouvoirs, mais il estime que ces mesures ne devraient pas perdurer dans le temps.
De l’autre côté, le maire paraît raisonnable quand il dit qu’il n’y a pas de « dérives possibles », et il garde le pouvoir de revenir en arrière si jamais cela s’avère nécessaire. Si donc les forces policières font un usage excessif des pouvoirs qui leur sont impartis, ils ne les conserveront pas longtemps.
S’il s’agit bien d’une tempête dans un verre d’eau, celle-ci permet tout de même d’observer le cours des choses à l’Hôtel de Ville. Fier de dire que son administration et agile et qu’elle « apprend » non seulement de ses erreurs mais de l’ensemble de ses expériences, Bruno Marchand a certainement une grande attention au détail.
Peut-être que la situation était urgente et qu’elle exigeait l’adoption rapide de règlements par l’exécutif, sans passer par des débats.
Peut-être aussi que la situation n’était pas si urgente que ça, et qu’il aurait été possible de convoquer les élus pour discuter, vu la sensibilité évidente de la question.
Nickel
C’est jeudi que la Ville a finalement présenté le mémoire qui sera déposé dans le cadre de la consultation du gouvernement sur la hausse de la norme de nickel.
Ce texte contient huit recommandations, pour la plupart déjà annoncées précédemment (installations de nouvelles stations d’échantillonnage, augmentation de la fréquence des prélèvements, meilleure identification des sources d’émanations, etc.).
Ce qu’il y a de nouveau, c’est la demande d’une application différenciée de la norme sur le territoire de la Ville de Québec. M. Marchand a été clair : il ne s’agit pas pour Québec de déterminer comme Montréal ses propres normes environnementales – l’efficacité de cette façon de procéder avait d’ailleurs été mise en cause lors du plénier ; on avait aussi appris que les normes du gouvernement ont préséance sur les normes municipales.
Pour ces raisons, le fait pour la Ville de fixer ses propres normes n’est peut-être pas la façon la plus efficace d’arriver à ses fins, qui sont de diminuer les émissions de nickel et plus largement d’améliorer la qualité de l’air.
Vendredi, le ministre Charrette a déclaré sans ambiguïté qu’il n’y aura pas d’exemption pour Québec. Les pressions de la Ville ne sont toutefois pas demeurées complètement sans effet, et le gouvernement a consenti à mettre sur pied un groupe de travail qui fera un portrait de la qualité de l’air dans Limoilou. Une nouvelle station d’échantillonnage sera aussi installée dans ce quartier.
Le chef de l’opposition à la Ville de Québec a réagi à l’annonce du ministre en accusant le gouvernement provincial d’essayer de dorer la pilule. Il n’a pas tort, mais on doit convenir que tous les esprits quelque peu réalistes savaient que le gouvernement irait de l’avant de toute façon avec sa nouvelle norme.
Dans ce contexte, c’est-à-dire dans la relative impuissance qui est la sienne dans ce dossier, la Ville de Québec a fait ce qu’elle pouvait et ce qu’elle devait faire. Elle a visé beaucoup plus haut que la cible en espérant obtenir quelque chose. Il y a fort à parier que sans la démonstration des problèmes quant à la quantité et au positionnement des stations d’échantillonnage, à la fréquence des prélèvements, à la capacité du gouvernement de faire appliquer ses normes environnementales, et enfin à l’insuffisance de la démonstration des avantages économiques du nouveau règlement, la Ville n’aurait pas même obtenu ces quelques gains.
Pour la CAQ, c’est certainement un faux-pas stratégique que de modifier ce règlement à quelques mois seulement d’une élection générale, et il aurait probablement été plus judicieux pour eux de faire une telle manœuvre en début de mandat. Néanmoins, il n’est pas certain que la CAQ payera un prix politique pour ce changement. Il se trouve à Québec beaucoup de monde pour s’indifférer de la question de la qualité de l’air. Qui plus est, le gros de la mobilisation contre la hausse de la norme de nickel est concentré dans des circonscriptions actuellement détenues par Québec Solidaire.
Puis, quelques mois, c’est déjà beaucoup en politique. C’est amplement de temps pour que bien des choses sombrent dans l’oubli.
Budget
Lundi, jour de Saint-Valentin, Bruno Marchand a présenté les demandes de la Ville en vue du budget provincial. La question que tout le monde se posait un peu était de savoir comment le maire allait réagir à la sortie de l’opposition quelques jours plus tôt. Comme on pouvait s’y attendre, il n’a manifesté aucune irritation.
Les demandes présentées par M. Marchand semblent raisonnables, signe que tout s’est déroulé dans les règles de l’art. Dans ce genre d’exercice, il est en effet nécessaire de paraître raisonnable, tout en demandant plus que ce qu’on prévoit obtenir.
Naturellement, le maire n’a pas voulu révéler lesquelles de ses demandes sont vraiment prioritaires, pour éviter de réduire son rapport de force dans les échanges avec le ministère des finances. Notons simplement que la demande la plus ambitieuse est l’aide de 25M$ par année pendant 10 ans pour « rattraper le déficit d’entretien accumulé » des infrastructures de la Ville. La somme de 35M$ qui a été demandée pour la décontamination de terrains, dans le but de pouvoir éventuellement les requalifier et les redévelopper, semble aussi très importante, puisque cela pourrait permettre (1) de densifier au centre-ville et (2) de percevoir des taxes.
Les oppositions ont bien réagi favorablement à ces demandes dans l’ensemble. La seule chose qui a accroché concerne le logement social. Plutôt que de demander 500 unités de logements « sociaux », la Ville a demandé 250 unités de logements sociaux, et 250 de logements dits « abordables ».
La nuance sémantique, ici, est importante aux yeux de certains. Il y aurait un problème, disent-ils, avec ce qu’on entend par « abordable ».
Il est vrai que ce changement dans les demandes de la ville est significatif à certains égards. Le défi de toutes les villes qui se développent consiste à freiner les inégalités qui sont le produit naturel du développement urbain. Les stratégies sont à peu près toujours les mêmes, et on considère habituellement qu’il suffit d’une part de développer un système de transport en commun efficace et accessible, et d’autre part de stimuler la mixité sociale en créant des logements sociaux au cœur de la ville, pour éviter que les quartiers « riches » deviennent plus riches, en même temps que les quartiers « pauvres » deviennent plus pauvres.
Si l’on est honnête, il faut convenir que ce phénomène est plus visible ailleurs qu’à Québec, tout en sachant que cela s’explique par la taille « moyenne » de notre ville. Ayant dit cela, les besoins de logements sociaux sont réels, et ils doivent être pris en considération dès maintenant pour éviter des problèmes plus tard. Le lien est peut-être forcé, mais il sera intéressant de voir si Bruno Marchand décide d’aller de l’avant avec son idée d’imposer une redevance sur les nouvelles constructions le long du tracé du tramway, une mesure qui pourrait avoir pour effet de hausser le prix des loyers dans ces nouveaux bâtiments, encourageant ainsi encore plus le processus de gentrification dans les quartiers centraux.
Un Sommet des aînés
C’est un fait sociologique indéniable : les aînés sont loin d’être la plus grande préoccupation des sociétés occidentales. La tendance est à l’exclusion des personnes âgées de l’espace public, pour les confiner en divers lieux destinées à les recevoir (RPA, CHSLD), et adaptés à la condition dans laquelle ils se trouvent.
L’idée de la Ville d’organiser un Sommet des aînés en avril prochain, dont l’idée est de trouver des moyens d’encourager la participation active des personnes plus âgées au sein de la communauté, est donc assez rafraichissante. Le sommet pourrait avoir des effets concrets au niveau municipal, particulièrement en matière de mobilité, de services (communautaires, municipaux et institutionnels) et dans la façon de penser les « milieux de vie » (la Ville pourrait installer plus de bancs publics).
S’il est vrai que le phénomène social – appelons-le crûment le mépris de la vieillesse – est trop lourd pour pouvoir être renversé par des décisions politiques, l’initiative de la Ville a le mérite de chercher à agir sur le plan où elle peut avoir un effet.
G.C.
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