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Mieux comprendre la responsabilité criminelle en cas de trouble de santé mentale

Le Château FrontenacCrédit photo : Sophie Williamson.

Après trois jours de procès, nous connaissons désormais les détails troublants des évènements du soir de l’Halloween 2020, du passé de l’accusé et attendons le jugement décisif du jury concernant son état psychologique.

Carl Girouard, tel que diffusé dans les médias ces derniers jours, aurait révélé à des intervenants sociaux sa volonté d’accomplir un coup d’éclat qui lui permettrait de « démontrer son courage » ou « d’être reconnu par des gens comme lui ».

Dès 2014, en manifestant le désir d’être un « agent du chaos » et en affirmant avoir un plan de tuer des gens avec une épée, l’accusé semblait déjà prévoir le drame du 31 octobre 2020. De plus, Carl Girouard avait fait mention clairement de son désir de recevoir de l’aide, mais avec comme crainte que « les professionnels ébranlent ses convictions ».

On peut légitimement se demander comment distinguer ce qui est de nature consciente, de l’ordre de l’idéologie ou de la croyance de ce qui relève d’un dérèglement psychotique.

À ce sujet, un neuropsychiatre et un psychiatre viendront témoigner et plaider la non-responsabilité criminelle de l’accusé pour cause de troubles de santé mentale. Il s’agira donc pour les prochaines séances au Palais de justice de s’attaquer à la question de la responsabilité de Carl Girouard ; soit sa capacité de distinguer le bien et le mal lors de la tuerie.

La suspension du procès jusqu’à mardi prochain pour cause de COVID-19 est l’occasion de s’intéresser à la procédure judiciaire lorsque la santé mentale est convoquée au procès.

Yanick Charette, professeur agrégé à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, démêle avec nous les différents enjeux pour tenter d’y voir plus clair.

La responsabilité criminelle

« Selon le Code criminel, le Droit et la philosophie du Droit, pour être coupable d’un acte il faut avoir commis l’acte (actus reus) et il faut être conscient de commettre l’acte (mens rea) », explique Yanick Charette.

Dans le cas de Carl Girouard, c’est le mens rea qui est en cause, soit l’état d’esprit, la volonté ou l’intention consciente pour qu’il soit déclaré ou non criminellement coupable.

« Il y a une clause par rapport aux problèmes de santé mentale, poursuit le criminologue. L’idée c’est de dire que si une personne est incapable de juger du bien ou du mal lors de la commission de son acte, on dira qu’elle sera déclarée non criminellement responsable. On met en doute le mens rea donc si la personne n’avait pas conscience de ses actes, elle ne pouvait pas avoir la volonté criminelle. »

Le fait que l’accusé reconnaisse avoir commis l’acte criminel ne remplit donc que la moitié des conditions, celle factuelle (actus reus).

Le processus légal

Yanick Charette explique qu’il faut évaluer si la personne avait un problème psychologique qui l’empêchait au moment du délit de faire preuve de discernement moral.

« C’est vraiment une période très circonscrite : on veut savoir au moment du délit, donc ce n’est pas si une personne a un problème de santé mentale en général, poursuit-il. Il faut qu’il soit actif au moment de la commission du délit et soit suffisamment important. » 

Comment évaluer cette présence ou absence de la faculté morale ?

« C’est par l’évaluation de la preuve, en évaluant les circonstances entourant les évènements, explique le criminologue. On va également faire des évaluations psychiatriques. On va rencontrer l’individu et examiner son état mental, les symptômes présents. Avec la preuve, on va essayer de trianguler tout ça. C’est des évaluations, je ne dirais pas subjectives parce qu’il y a une expertise autour de ça, mais évidemment on ne peut retourner dans le passé. » 

Il est donc important lors de ces examens de faire la différence entre les prétentions subjectives de l’accusé et son état réel. Yanick Charette explique que c’est la même difficulté que lorsqu’il s’agit de prouver qu’une personne a réellement commis un acte criminel ; soit de statuer sur la réalité objective à partir notamment de témoignages.

« La complexité est toujours là, continue-t-il. Les psychiatres ont un niveau d’expertise. La Couronne pourrait présenter une contre-expertise et ce sera au juge et au jury de déterminer si la personne cadre avec un cas de non-responsabilité criminelle. »

La préméditation

Est-ce que l’aspect prémédité de l’acte influence le processus légal et l’évaluation de la culpabilité criminelle ?

« Ce n’est pas parce qu’il y a préméditation qu’il n’y a pas de problème de santé mentale, soutient Yanick Charette. Une personne peut présenter des idées délirantes qui vont structurer son schème de pensée et qui n’empêchent pas de vouloir commettre des délits. »

La question de la non-responsabilité se pose donc exclusivement lors du moment même de l’acte, la préméditation étant aussi possible dans le cadre d’un délire.

« Ce n’est pas parce qu’on a un problème de santé mentale qu’on est complètement non fonctionnel ou incapable de se structurer », continue le criminologue.

Faire la part des choses

Yanick Charette tient à rappeler que la question des actes violents ou criminels doit être distinguée de celle des troubles psychologiques.

« Ce n’est pas parce qu’on a un trouble de santé mentale qu’on commet des délits et ce n’est pas toutes les personnes qui commettent des délits qui ont des problèmes de santé mentale non plus, soutient-il. Le lien entre la violence et la santé mentale est assez ténu. Ce n’est pas un facteur explicatif très important. Il faut garder ça en tête quand on analyse ces dossiers pour ne pas avoir de biais. » 

Selon le criminologue, les médias sur-représentent ce genre de cas où un lien peut être fait entre la criminalité et la maladie mentale, ce qui contribue à certains préjugés au sein de la population.

« Il n’y a pas beaucoup d’articles sur le suivi en communauté et sur les expériences qui fonctionnent bien, sur les réussites », laisse tomber Yanick Charette.

Qu’arrive-t-il lorsqu’un accusé est déclaré non responsable ?

Une fois qu’un accusé est jugé non criminellement responsable, il n’est pas non coupable pour autant, explique le criminologue.

« Ces personnes sont suivies par ce qu’on appelle la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), un tribunal indépendant, qui va s’assurer de prendre une décision en les rencontrant à chaque année, poursuit-il. Est-ce que la personne représente un danger suffisant qui nécessiterait une détention dans le milieu hospitalier ? Ces décisions sont prises en fonction de l’état mental de l’accusé et du risque qu’il représente pour la société. »

Yanick Charette explique que le suivi est de longue durée et en moyenne plus long que le suivi par le tribunal régulier, lors par exemple des sentences de détention ou de probation.

« Ce n’est pas une « sentence bonbon » lorsqu’une personne est déclarée non criminellement responsable, continue-t-il. Souvent, les gens vont être contre la notion de responsabilité par peur que les accusés représentent un grand danger. Mais le système qui est en place mène à des bons résultats. Le taux de récidive est plus faible que si cette personne avait été suivi dans un processus régulier, par exemple si elle avait été incarcérée. »


Yanick Charette a complété sa recherche postdoctorale à l’Université Yale en sociologie. Ses travaux portent sur « la judiciarisation des personnes qui présentent des problèmes de santé mentale et les stratégies d’évitement de la prison pour cette population ».

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