C’était, avant-hier, le jour de la bière allemande. C’était aussi celui du saint patron des scouts, d’ailleurs, ainsi que la date du premier cours de cirque de ma fille. Elle était gênée au début, mais elle est sortie en gambadant. Elle souriait, ses petits cheveux blonds rebondissaient sur sa tête et brillaient dans le soleil. Je lui ai dit de mettre son chapeau sans attendre, car il faisait froid.
Avant de retourner à la maison, nous nous sommes arrêtés à la société des alcools, où j’ai acheté une bière brune de type « lager », – voici son nom : Aecht Schlenkerla Rauchbier Märzen – pour célébrer la fête du jour. La caissière me lorgnait étrangement à cause de mes petites shorts et de mon foulard, je lui ai parlé des scouts, elle n’a pas eu l’air de me comprendre.
Puisque c’était sur le chemin, on est ensuite entrés à la librairie, et c’est là que j’ai appris que c’était, avant-hier, la journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Après un aller-retour rapide dans le petit local, j’ai acheté des essais de Karl Ove Knausgaard dont on m’a dit beaucoup de bien, un recueil de poèmes d’Hélène Dorion, Mes forêts, et deux-trois histoires de Petit loup. « Les Petits loups, c’est pour moi », ai-je dit pour faire rire la libraire, qui a souri poliment, mais d’une façon qui disait un peu : « quel innocent ».
Décidément, ce n’était pas ma journée avec les caissières.
En ouvrant mon ordinateur quelques heures plus tard, j’ai vu que le directeur général de l’union des écrivaines et des écrivains québécois, Laurent Dubois, avait publié une lettre intitulée « Pour que la lecture devienne une priorité de société » dans La Presse+, à l’occasion justement de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur.
La lecture est bénéfique pour toutes sortes de raisons, dit M. Dubois, mais il est déplorable qu’on ne reconnaisse pas, au Québec, qu’un temps consacré quotidiennement à la lecture est tout aussi bénéfique « pour notre développement et notre équilibre » qu’une vie active ou qu’une alimentation saine. Puis, M. Dubois se désole que « le plaisir de la lecture décline au fur et à mesure que les jeunes avancent dans leur scolarité », ce qui lui parait paradoxal vu les efforts qui sont faits depuis des décennies pour améliorer la littératie des québécois.
Il n’y aurait qu’une seule chose qui permettrait de régler ce problème, écrit-il enfin : une « véritable volonté politique ». Concrètement, l’auteur de la lettre propose une « campagne de sensibilisation d’envergure », des « projets structurants », et la création d’un « comité spécial pluridisciplinaire et interministériel ».
– Maman, pourquoi papa a recraché son café ?
– Pour rien ma chérie, il a sûrement lu que la solution d’un problème complexe est une affaire de volonté politique.
Il est vrai que la grande majorité des gens ont une expérience « négative » de la lecture, qui leur parait une activité non seulement difficile et pénible, mais en plus parfaitement stérile.
On ne fera pas changer leur sentiment en leur disant qu’au contraire, la lecture c’est très bien, et que ça a même plein de bénéfices pour la société. Surtout (surtout!) si la leçon provient, d’une façon ou d’une autre, d’un « comité spécial pluridisciplinaire et interministériel ».
Vous vous moquez, monsieur le journaliste ? Que faut-il faire d’abord ?
Les efforts qui sont faits depuis un certain temps pour faire lire les québécois s’appuient sur l’idée que la meilleure façon de donner aux jeunes le goût de lire est de faire de la lecture une activité plus accessible et plus facile, et je crains fort qu’une réflexion « de société » à ce sujet en arrive à la même conclusion.
Sauf qu’en adoucissant au maximum ce qu’il y a de difficile dans la lecture, on en perd en même temps les véritables bénéfices. C’est la difficulté qui donne le prix aux choses, disait l’autre. Quand on cherche le plaisir où il n’y a pas de douleur, ce n’est pas le plaisir qu’on trouve, c’est l’indifférence.
On ne commence pas à lire parce que les livres ne nous posent aucun problème, mais justement parce qu’il y a des problèmes, qu’on sent vaguement un manque ou violemment une insatisfaction face à la réalité.
Puis, si on est chanceux, on rencontre des « têtes bien faites », des enseignants un peu étranges, un libraire fucké, des journalistes qui n’écrivent pas comme les autres, enfin des lecteurs qui par leur façon d’être nous donne une idée du pouvoir de la lecture. Insatisfaits eux aussi, c’est dans les livres qu’ils ont trouvé une consolation, ou au moins une manière de vivre leur insatisfaction de façon féconde.
En conséquence, on pourrait essayer de rendre la lecture plus nécessaire en creusant le besoin plutôt qu’en diluant le remède. Mais ça prendrait plus de têtes bien faites. Comment on fait ça, donc ?
JOGGING – Pendant que vous ramassiez des masques en faisant votre jogging dans les deux dernières semaines, je gardais moi aussi l’œil ouvert lors de mes sorties. À Charlesbourg, dans l’espèce de passage entre la 5e Avenue et le corridor des cheminots, j’ai trouvé un vibrateur, une vieille carte OPUS et une cigarette électronique. À Beauport, dans les environs de l’église Saint-Ignace-de-Loyola, j’ai trouvé des nids de poule, mais il n’y avait pas d’œufs dedans, juste des grosses roches. Et puis dans le parc de la Rivière-Beauport, j’ai trouvé le bonheur. J’ai tout laissé sur place, avisez les propriétaires si vous les connaissez, qu’ils aillent chercher leurs affaires.
G.C.
Commentez sur "La lecture"