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Au-delà de l’image

David Lemelin présente sa chronique Droit de citéDavid Lemelin (Photo : Archives Carrefour de Québec)

Régis Labeaume donnait son avis sur tout, tout le temps. On lui demandait ce qu’il pensait de la pluie, du beau temps, de tel sportif, de telle chanteuse, ce qu’il pensait du brun, du jaune, s’il préférait le tapis ou le bois franc.

Par David Lemelin

Au début, on souriait. C’était rafraichissant et ça nous sortait de la zone d’inconfort habituelle de la plupart des politiciens incapables de se prononcer sur quoi que ce soit sans un carton à la main avec les éléments de langage prévus avec soin par des stratèges de com.

Mais, on s’est vite fatigué et moi je me suis tanné au point de me présenter contre lui. Car, au-delà de l’image, il y avait le fond qui m’apparaissait lourdement antidémocratique et irrespectueux, pas à la hauteur de la fonction.

En fait, on a cherché avec Labeaume à créer un personnage, à l’entretenir et à lui donner une force capable d’écraser tout sur son passage. Ça a fonctionné à merveille.

Évidemment, ce n’est pas le premier personnage politique qui a été créé : c’est une recette vieille comme le monde politique. Dans ses phases les plus abusives et toxiques, on parlait de « culte de la personnalité » chez ces leaders qu’on a voulu plus grands et plus puissants que leur peuple, que leur pays, que leurs lois.

Aujourd’hui, la politique compte encore des populistes essentiellement appuyés sur un personnage, souvent caricatural, qui a pour mission d’attirer l’attention, de susciter la polémique, pour, enfin, traduire tout ce bruit en votes, le jour des élections venu.

Mais, on crée aussi des personnages plus sympas en reproduisant la recette du monde des vedettes du « showbiz ». Pensez à JFK, à la « Trudeaumanie » dans les années 60, à Bill Clinton qui jouait du saxophone, etc. On a voulu créer des « stars ».

Si la stratégie de communication peut servir de nobles causes, il vient un temps où on se demande si on n’est pas en train de remplacer le fond par la forme. L’image prend une telle importance qu’on en perd de vue l’essentiel : ce qu’on fera ou ne fera pas pour notre société, notre ville, notre pays. En France, par exemple, de nombreux analystes expliquent que le président Macron entretient un flou politique, volontaire, qui lui permet d’être à la fois attrayant pour plusieurs et pas trop repoussant pour les autres. En somme, ce n’est pas tellement ce qu’il fera de la France qui compte (qui pourrait le résumer efficacement, d’ailleurs?), mais plutôt ce qu’on lui évitera : porter une raciste comme Marine Le Pen au pouvoir.

Dès qu’il a pointé le bout du nez vers la politique de Québec, Bruno Marchand s’est laissé complètement porté par la communication. J’attendais avec impatience le fond qui n’a pas encore pris la place de la forme, très forte auprès de son équipe : photo devant la fenêtre pour reprendre la pose fameuse de JFK, miser sur les chaussures de course, etc. C’était dégoulinant de com.

C’est le temps de connaître ses dossiers, dira-t-on, pour justifier l’insistance sur l’enrobage dans cette stratégie. D’accord. D’ailleurs, aujourd’hui, à mesure que la matière est digérée, les commentaires plus sérieux commencent à se diffuser. Pensez, notamment, à sa parfaite défense des intérêts de Québec face à l’attaque frontale de la CAQ concernant l’aménagement du réseau structurant.

Le fond, c’est à cela que ça sert : donner au leader les moyens de ses ambitions. Autrement, on comble avec des phrases vides, avec des tournures convenues qui permettent de gagner du temps, tout au plus. C’est le cas, notamment, pour le dossier du troisième lien. Quand Marchand maitrisera ce dossier, il dira la même chose que ceux qui savent : c’est non.

Je nous ramène ici à mon propos du départ concernant Labeaume qui commentait tout et n’importe quoi.

Dans une société où l’opinion-minute est devenue une tendance lourde, les médias auront souvent le réflexe de tendre le micro à l’élu pour lui demander, comme ça, ce qu’il pense du chocolat aux noisettes ou du nouveau logo du CF Montréal. Ça permet de combler du temps d’antenne, c’est rapide, pas compliqué et ça rentabilise le travail d’un journaliste auquel on n’accorde plus le temps qu’il lui fallait pour enquêter et trouver de la nouvelle.

Et puis, ça nourrit le « personnage médiatique » qui se cristallise sous nos yeux, avec cette (fausse) impression que l’on crée des liens avec l’élu, que l’on crée une proximité nous permettant de nous approcher de la « vérité » de l’humain derrière la cravate ou le col roulé.

Pourtant, je ne crois pas qu’il soit pertinent et sain d’essayer de connaître la couleur préférée des bas d’un ou d’une élue. C’est hors sujet, en réalité. Ce faisant, on mélange les choses, mettant un peu tout sur le même pied. La question se pose souvent, d’ailleurs : est-ce que c’est d’intérêt public?

On veut savoir s’il aime la crème brûlée ou si ses valeurs rejoignent les nôtres? On veut savoir s’il collectionne les vinyles ou si son programme est sérieux?

L’un n’empêche pas l’autre, me direz-vous. Vrai. Mais, dans cette société axée sur l’image, est-ce cela qui se produit? Est-ce que la forme prend le pas sur le fond, croyez-vous?

Trop souvent.

Je ne pensais jamais citer le député libéral Pierre Arcand, mais il a dit quelque chose d’intéressant à propos de la réalité politique actuelle, intimement liée aux réseaux sociaux. À cause de cela, il explique qu’il faut « vraiment qu’on soit très fort sur le plan marketing, être des metteurs en scène. Ça nous prend maintenant des gens équipés pour ça ».

Il faut des metteurs en scène, dit-il. C’est, à mon sens, particulièrement fort et juste.

Le député a aussi ajouté que les élus « se retrouvent constamment dans l’œil public, ce qui finit par user peut-être un peu plus vite qu’on pense ».

En effet. Ça doit user.

Dans un travail normal, vous rentrez chez vous, personne du bureau ne viendra vous demander ce que vous mangez pour souper. En politique, on ne détestera pas voir l’élu prendre son café, journal à la main, un samedi matin où il « flâne », histoire de nous faire croire qu’il a une vie normale, lui aussi.

Non, ce n’est pas normal. C’est une mise en scène.

Et ce n’est pas normal de se servir des médias pour montrer qu’on est normal. C’est pour le moins ironique.

On veut quoi, avec cette stratégie, en fait? Créer de la proximité? C’est du voyeurisme? C’est la télé-réalité qui s’applique partout?

C’est ce qui conduira, par exemple, un journaliste à demander à Marchand de commenter les propos de Labeaume qui dit avoir eu besoin de réapprendre à conduire après avoir quitté la politique.

Mais, on s’en fout!

Travaillez le fond! Lisez vos dossiers! Gouvernez! Ainsi, on vous entendra moins, mais quand on vous entendra, ce sera utile et important. Et en retirant tout le crémage artificiel, on verra enfin plus clairement ce qu’il en est sur le plan politique, rendant le choix des électeurs encore plus facile.

Les idées, les valeurs, les principes, la vision, la façon de faire… voilà ce qui importe vraiment. Le reste, on s’en fout.

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