Ils sont une cinquantaine d’ados dans la gang, peut-être plus, à se réunir depuis la reprise des cours. Ils ont formé un comité, toute la patente : il veulent trouver une manière de se prononcer contre l’austérité.
La directrice n’a pas l’intention de laisser ce genre de velléités s’installer dans son école secondaire. Elle a vu les affiches avec le loup dessus. Le loup : l’effigie de ce mouvement citoyen qui s’appelle déjà «Printemps 2015». Et elle a pris panique. Elle a pris à part une fille qui faisait partie de la gang : «Il n’y aura pas d’actions de ce genre sur le terrain de mon établissement. Est-ce que c’est compris?»
Un article paru dans Le Soleil en 2012 parlait déjà, en plein printemps étudiant, de cette directrice qui faisait des tournées dans les classes pour dire aux étudiants que la hausse était vraiment une petite hausse de rien du tout, qu’il n’y a avait aucune raison de manifester et qu’elle ne permettrait pas qu’ait lieu cette AG organisée par des élèves à laquelle tous avaient été conviés et où «les plus vieux pourraient manipuler les plus jeunes».
Et elle, elle est manipulée par qui?
Et elle, qui essaie-t-elle de manipuler?
Et «son» établissement lui appartient-il plus qu’il n’appartient aux élèves qui le fréquentent? C’est un établissement public, à ce que je sache; le public qui l’occupe n’a-t-il pas le droit d’y organiser des débats qui soient, eux aussi, publics? N’a-t-il pas le droit d’y vivre une vie qui soit publique? Monique est-elle investie d’y faire prévaloir ses idées politiques personnelles et d’interdire l’expression de celles qui ne rentrent pas dans sa grille?
Ils servent à quoi, Monique, les cours d’éducation à la citoyenneté qu’on donne dans ton établissement? Je suis sûre que tu féliciterais quiconque accumulerait les 100% dans ce cours à force d’étude chez soi, le soir, dans ses livres. Félicitations! En fait, tu n’as aucun problème avec l’apprentissage de la citoyenneté si ça se déroule dans le calme ronflant d’un cours, si les étudiants sont assis sans bouger et s’ils n’ont le droit de parler que lorsqu’on leur pose une question – s’ils sont, en un mot, passifs. Mais actifs, non, tu ne les veux pas apprenant activement la citoyenneté, les règles d’une AG, les particularités d’un discours qui fait mouche, tu ne les veux pas développant leurs facultés oratoires en parlant des choses de la vie publique, dénichant des façons de sensibiliser des amis à une cause et d’organiser des événements, tu ne les veux pas constatant par essais et erreurs ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas en termes de lutte collective… Non. J’imagine que tu trouves que ce sont des apprentissages un peu délinquants. Ça leur donnerait des outils au cas où ils soient, plus tard, capables de critiquer les multiples autorités qui s’installeront au-dessus de leur tête. Mieux vaut tout garder en ordre et s’assurer que s’il leur arrivait, au fil de leur vie, de se sentir floués, ils ne sachent de toute façon pas très bien quoi faire.
Et qu’ils s’installent devant la télé à la place de protester, de façon à bien se faire expliquer que c’est juste une petite hausse de rien du tout.
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