Par David Lemelin
Je vais l’appeler « Bud », pour éviter qu’il devienne mondialement connu. Bud habite tout près de chez moi. C’est un anglophone, je crois, américain, qui a emménagé l’an dernier avec une Québécoise francophone. Ils élèvent ensemble les deux enfants qu’elle a eus avant de le rencontrer. Sur papier, c’est merveilleux.
D’autant que Bud est fin. Vraiment. Souriant, ultra sociable, il parle à tout le monde, il se mêle de toutes les conversations, il est toujours bien visible et présent sur sa galerie. C’est un bon vivant, il parle beaucoup et on remarque sa présence. En fait, il est incontournable, voire inévitable.
Donc, des gens vont voir Bud, jasent avec lui. Et même s’ils ont plus ou moins le temps, Bud leur demande comment ils vont, s’ils ont remarqué que le facteur est passé un peu tard aujourd’hui, etc. Son attitude encourage la réponse, le retour de celles et ceux qui croisent son chemin ou son regard. Dès lors, les Québécois, gentils et courtois, répondent.
En anglais. Toujours.
Parce que lui, il parle juste anglais.
Au début, c’est correct. On comprend. Le gars débarque, il ne connait pas un mot, mais il nous dit tous, sans exception, qu’il est inscrit à des cours de francisation. Alors, moi, comme tous les autres, on lui dit que c’est une « good news »!
Ha! Ha! Ho! Ho! On a du plaisir, Bud pourra converser avec nous sous peu en français. Rien qu’à voir son enthousiasme, on en est tous convaincus.
Hélas non. Deux ans plus tard, tout le monde sur la rue continue de lui parler en anglais. Tout le temps. Lui aussi. Il a arrêté de suivre son cours, d’ailleurs.
Pourtant, il y a sans doute très peu d’anglophones dans ma rue ou, en tout cas, fort peu de gens dont la langue de communication principale en public est l’anglais. Ça s’entend. L’accent québécois de Québec, il est assez clair et typique, mettons.
Mais, pourquoi tout le monde lui parle toujours en anglais?
« Il est tellement fin! », me dit-on. Un peu comme s’il faisait pitié de ne pas encore pouvoir bredouiller notre langue. Alors, on s’adapte à lui. Parce qu’il est full fin.
Parfois, ils sont 7 ou 8 devant sa galerie, à jaser avec lui, en anglais. Quand ils repartent, tout ce beau monde reprennent leurs conversations en français, comme c’était avant qu’ils ne s’arrêtent devant le smile de Bud.
J’écris ça et je n’en veux pas à Bud. Il occupe l’espace qu’on lui accorde. Si tout le monde lui parle anglais, why the hell se forcerait-il à apprendre notre langue?
Mais, voyez-vous, pour moi, cette preuve de gentillesse des voisins, normale quand une personne vient juste d’arriver, est une capitulation culturelle, après un moment. C’est nous qui baissons les bras, dans un réflexe de conquis, parce que l’humain est fondamentalement grégaire et a besoin de créer des liens. Si la langue est un frein, on la fait sauter and that’s it!
Oui, mais non. C’est comme le supplice de la goutte d’eau : une phrase ou un mot en anglais à la fois, ça a l’air de rien. On ne le sent même pas. Mais, à la longue, c’est notre culture qu’on dilue.
« Oui, mais c’est pour être gentil avec, y’est tellement fin! »
C’est vrai. Mais, c’est pas ça le point, you know. Y’a pas de honte à s’encourager, les uns les autres, à parler notre langue. La fierté se communique mieux quand elle existe. Et, devinant que Bud n’a pas une once de malice, je vous parie ce que vous voulez que si tout le monde lui répondait en français, en l’encourageant à l’apprendre, il nous répondrait assez vite dans la langue de Molière.
Or, ce que je vois, c’est plutôt le contraire. On se couche, tout doucement au sol, gentiment, à faire le tapis pour éviter que l’étranger ne sente nos racines sous ses pieds. Pour éviter de le heurter, alors que Bud ne demanderait pas mieux que de s’intégrer dans notre langue, si ça pouvait lui permettre de laisser libre cours à ce remarquable caractère sociable dont il fait preuve au quotidien.
Bin, vous savez quoi?
It’s wrong. Really…
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