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Impressions citadines par Catherine Dorion: Haine, vertige et radio

Camion

«Il y a un système d’éducation, il est à peu près gratuit pis là, tu veux nous faire suer, tu veux gérer les projets d’oléoduc, toi, minou. Une gang de morveux, imbéciles, nombrilistes, de bébés lala, de catins…» (Dutrizac, 98,5 FM, Montréal)

Ne me parlez pas des radios de Québec. C’est le continent tout entier qui coule dans le phénomène comme le Titanic dans l’eau frette. Mépris de ceux qui s’opposent à l’ordre actuel des choses et mépris désinvolte de la logique (en quoi vouloir un moratoire sur l’oléoduc est-il nombriliste, Benoît?).

Dans une radio d’opinion américaine, un auditeur jappe : «Obama est musulman! Je viens de regarder sur Google. C’est pour ça qu’il met de la pression sur BP, qui est la plus grosse compagnie pétrolière anglo-européenne (sic), il veut que les pays musulmans dominent l’industrie du pétrole!» Et là, non seulement le très populaire animateur ne détrompe pas ses auditeurs, mais il répond (attention : cherchez le lien) : «Vous pensez que ça, c’est le boutte, mais les environnementalistes anti-BP, han?» S’ensuit une série d’insultes ciblées que je ne m’essaierai pas à traduire en québécois. Dans certains coins, la transmission de haine est très efficace. Aux ÉU, des gens font poser sur leur camionnette un dispositif leur permettant d’envoyer de la fumée noire et polluante dans les fenêtres des autos hybrides – ils appellent ça des «Prius repellent». Dans les rues de Québec, des cyclistes se font engueuler par des visages anonymes au volant d’autos dont la radio jaillit des fenêtres à tue-tête.

La haine se déchaîne avec de moins en moins de complexes. L’expression «bébés gâtés», devenue courante, me fascine. Imaginez s’ils disaient plutôt : «toi, vieux plouc fasciste, nombriliste, cave, tu veux toute décider, on a un système de santé à peu près gratuit pour soigner tes p’tits problèmes d’ostéoporose, de cancer, pis tu veux gérer les projets d’oléoduc, toi minou.» Ça serait obscène.

L’émission Dutrizac a repêché deux journalistes respectés pour parler politique; le premier est éditorialiste au Devoir et responsable de sa page Idées et l’autre est chef du bureau politique de L’actualité – quand même. Le 13 mars dernier, lorsque l’animateur déverse en leur présence son fiel sur les étudiants, ils ne s’objectent pas. On dirait même qu’ils le singent, ajoutant à leur ton la même raillerie que lui, la même satisfaction d’être plusieurs à parler dans le dos des absents. Les instants de désaccord du journaliste de L’actualité ne sont détectables que par de subtils silences. Je ne peux pas les blâmer. On se laisse tous influencer par ceux qui font augmenter notre chèque de paye.

Une fois, je dînais dans un resto de Montréal et j’ai vu passer Duhaime qui marchait dehors en collant la vitrine comme un hamster. Il avait l’air tellement triste, tellement effacé, tout ployé comme une petite femme grise maganée dans sa tête, je n’ai même pas eu le coeur de le haïr. Je me suis juste demandé ce qui l’avait fait aboutir là où il est aujourd’hui. Qu’est-ce qui le motive à répandre toute cette haine avec une telle constance? Il cache quelque chose. Intéressant personnage de roman.

En 1951, Czeslaw Milosz (Nobel de littérature) écrivait sur des auteurs du Bloc de l’Est qui, de leur propre chef, avaient mis de côté leur personnalité pour défendre le système avec toujours «de plus en plus de haine et de vertige». Il semble que cette espèce d’empressement est un trait humain répandu, particulièrement là où le pouvoir a tendance à se concentrer. C’est lui qui permet de s’afficher dans la zone recommandable d’une société qui se scinde progressivement en deux, les pro-système et les opposants. Mais cela n’a plus d’importance aujourd’hui, ce n’est pas Milosz qui va nous fidéliser une audience. Et si on veut qu’il y ait du monde pour écouter les publicités automobiles…

Photo : Courtoisie

1 commentaire sur "Impressions citadines par Catherine Dorion: Haine, vertige et radio"

  1. Votre description de Duhaime, si c’est pas de la haine… Mais vous avez raison, c’est encore pire, c’est du mépris, un mépris rehaussé de cette fausse verve pseudo-littéraire qui rehausse encore davantage la pente de votre condescendance. Très décevant.

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