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Impressions citadines: À chacun sa paresse

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

À Buenos Aires, assise à l’une des terrasses qui donnent sur la place la plus touristique de la ville, je regarde deux courageux danseurs de tango se faire aller le corps au soleil à 40 degrés Celsius pour le bonheur des clients du restaurant. Le tango peut être infiniment touchant, il peut chatouiller en nous des zones que l’on ne soupçonnait pas – c’est ce que l’art en général peut faire et il nous arrive parfois de lui être reconnaissant pour des moments chatouillants que l’on n’espérait pas. Mais cette représentation-ci est évidemment, de par sa nature même, plutôt cheap. Les danseurs ont le regard perdu au loin, dans les méandres de leurs dernières péripéties sur Facebook, peut-être, ou dans quelque fantasme de redécoration de leur appartement. Leur automatisme enlève, pour moi, tout intérêt à leur spectacle.

Les touristes de la table d’à côté apprécient beaucoup (tant mieux pour eux, ils sont pour aujourd’hui plus chanceux que moi). Ils sont plus fortunes que moi et tout leur attirail suggère qu’ils sont une élite de quelque chose, qu’ils ont économiquement réussi.

Je pense aux droitistes du Québec qui admireraient mes voisins de terrasse, eux qui disent favoriser une culture de l’effort récompense : «Travaille, pis tu vas en avoir de l’argent!» Sauf qu’ils favorisent en même temps, par leurs choix culturels, une culture du non-effort et de la paresse : ils s’offrent des excitations cheaps (comme ce show de tango) qui tentent de copier les moments quintessenciels que peut vivre tout être humain s’il cherche un peu, s’il sort de son confort, s’il y met un peu d’effort, finalement. Pour eux, dès que la copie est un petit peu ressemblante, ils se félicitent : «Je vis un moment inoubliable! Comme ces gens dans le dépliant touristique sur l’Argentine!» Alors qu’en vérité ils ne vivent rien d’inoubliable. Ils vivent l’idée d’un moment inoubliable, de ce qu’on leur a dit qu’était un moment inoubliable, mais rien ne leur traverse le fond de l’âme. Ils ne savent ou ne désirent pas faire l’effort de regarder au-delà de l’image plaquée de la carte postale, là où tout peut vibrer jusqu’au fond du ventre. Ils se sont laissés porter par la facilité jusqu’à tous ces lieux touristiques dépersonnalisés afin d’y vivre un semblant de quelque chose. Ils n’iront pas fouiller plus creux, là où se trouve le vrai jus!

À chacun sa paresse, à chacun ses récompenses. Tout le monde, sur cette terrasse, est satisfait de lui-même. Moi aussi, pour une fois. Tout est à sa place.

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