C’est un bel exemple qui illustre une philosophie politique et économique. Un gouvernement se retrouve fréquemment devant un dilemme : laisser le privé ramasser ses propres pots cassés… ou voler à son secours pour soutenir une économie locale, des emplois, un dynamisme qui serait autrement fragile.
Une chronique de David Lemelin
Pour vrai, je comprends le dilemme.
En revanche, avec le recul, on finit par se tanner. Il y a, de l’autre côté (au privé), une philosophie également. Une approche, dans certains cas, de laisser les choses aller, jusqu’à ce que les autorités publiques n’en puissent plus. On voit ce petit stratagème, notamment, avec les immeubles, les édifices patrimoniaux, qu’on laisse pourrir sur place, presque le sourire aux lèvres en pensant au chèque qui viendra, tôt ou tard.
Dans le cas du Mont Sainte-Anne, c’est exactement cela : du laisser-aller. Ou, plus justement : de la négligence. Ce n’est pas comme si le propriétaire, Resorts of the Canadian Rockies (RCR), n’avait pas d’argent. Ce n’est pas un OBNL. C’est un propriétaire milliardaire qui se joue des gouvernements et de l’argent public. Il l’encaisse, voilà tout.
Propriétaire depuis 2020, RCR n’entretient pas le Mont-Sainte-Anne. Il laisse le parc se détériorer, quitte à risquer la vie des sportifs qui fréquentent les lieux. S’en fout : le but, c’est de faire de l’argent, pas d’en dépenser.
Puis, vient un jour où, voyant les services d’urgence intervenir fréquemment en raison de télécabines trop âgées qui font la manchette (un arrêt brusque qui blesse des gens, une cabine qui tombe au sol…), le gouvernement n’en peut plus et cède en signant une entente (le grand patron de RCR, le milliardaire albertain Murray Edwards) qui n’avantage que le propriétaire négligeant. Ainsi, Québec sort 50 millions $, dont 25 qu’il sait qu’il ne reverra jamais, en espérant voir le milliardaire déplier l’autre 50 millions $ pour atteindre la somme de 100 millions rendus nécessaires pour rendre les lieux sécuritaires et plus attrayants.
C’est indécent.
On ne règle pas juste un dossier chaud, comme l’a dit le ministre Julien. On cède à un manège vicieux. Pourtant, plusieurs réclament depuis des années qu’on exproprie le proprio désintéressé. On est pris avec un deal (libéral) qui attache les mains des gouvernements pour encore 70 ans. En même temps, quand on veut on peut. Et certaines options ont été avancées pour dénouer l’impasse. Mais le gouvernement a préféré la négociation avec RCR…
Mais bref, la philosophie qui consiste à donner des sous à des milliardaires désintéressés sous prétexte de protéger la vitalité des milieux atteint sa limite. Dans le cas du Mont-Saint-Anne, c’est même gênant.
Évidemment, certains maires étaient contents de l’annonce. On les comprend, ça garde la montagne en vie. Ils auraient peut-être voulu féliciter le proprio albertain, mais celui-ci n’a pas cru bon se déplacer pour l’annonce, tant ça n’a rien d’exceptionnel pour lui.
Oh, mais Murray Edwards était avec nous en pensées, nous a-t-on dit. C’est cela, oui. En pensées, on peut être partout à la fois, tout en n’étant nulle part…
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