Le Québec traverse une période marquée par une crise du logement, une inflation galopante et une hausse du chômage. Pour y faire face, le gouvernement a restreint les visas de travail, la résidence permanente et le nombre d’étudiants étrangers. Cependant, cette approche pourrait entraîner des conséquences économiques et sociales néfastes à la province.
Par Juliet Nicolas
Restrictions de visa et politiques d’immigration
Depuis le 31 octobre 2024, des restrictions sont en vigueur jusqu’au 30 juin 2025 pour mieux contrôler l’immigration temporaire et permanente. Ainsi, le plafond pour 2025 a été réduit. L’objectif est de faire passer la part de résidents temporaires dans la population de 6,5 % à 5 % d’ici 2026. De plus, de nouvelles dispositions, en vigueur depuis le 21 janvier 2025, ont durci les conditions d’admission des conjoints de fait et époux des travailleurs temporaires au permis de travail ouvert (PTO). Pour être admissibles, ils doivent être inscrits à un programme de formation d’au moins 16 mois. Par ailleurs, les emplois des travailleurs temporaires doivent figurer dans des catégories en pénurie, telles que les soins de santé, l’informatique et l’ingénierie. En outre, le nombre de permis d’études délivrés a été réduit, avec un maximum de 437 000 permis, soit une diminution de 10 % par rapport à 2024.
Les restrictions actuelles incluent également la suspension des demandes pour le volet « Diplômés du Québec » du Programme de l’expérience québécoise. De plus, les invitations pour le Programme de Sélection des Travailleurs Qualifiés (PSTQ) sont temporairement arrêtées jusqu’au 30 juin 2025.
Justifications des mesures
Ces mesures sont justifiées par plusieurs raisons. Le marché immobilier est en surchauffe, avec une demande croissante et une offre insuffisante de logements abordables. Les nouveaux arrivants exerceraient une pression supplémentaire sur le marché. De plus, la hausse des prix des loyers a exacerbé la situation.
La hausse des prix des biens et services affectant également le pouvoir d’achat des Québécois. Le gouvernement craint donc que l’immigration augmente la demande globale et aggrave cette situation. De surcroît, la défense de la langue française reste également un enjeu central. Le gouvernement craignant que l’afflux massif de nouveaux immigrants ne menace l’utilisation du français dans la vie quotidienne et professionnelle. Pourtant, en 2023, la France a été le principal pays de naissance des immigrants permanents admis au Québec.
Avantages économiques et défis de l’immigration
L’immigration joue pourtant un rôle crucial dans la stabilisation de l’économie du Québec. En augmentant l’offre de main-d’œuvre, elle répond aux besoins des entreprises en quête de talents qualifiés et favorise l’innovation. Par exemple, les travailleurs étrangers sont essentiels dans le domaine de la santé, où ils comblent des lacunes et améliorent l’accès aux soins.
Un autre avantage clé de l’immigration est sa capacité à lutter contre le vieillissement de la population. Selon le Bilan démographique du Québec, l’immigration permanente est majoritairement composée de personnes âgées de 20 à 44 ans. Cette tranche d’âge aide à maintenir une population active et dynamique.
Les immigrants dynamisent également la croissance économique en créant des entreprises, en payant des impôts et en consommant des biens et services. Cette contribution introduit des compétences diversifiées et favorise l’innovation. Attirer des talents internationaux est donc crucial pour la compétitivité du Québec dans un contexte économique mondialisé.
Limites de l’approche restrictive
Les restrictions de visa actuelles visent à réduire la pression sur le marché du logement et à protéger les emplois pour les Québécois. Cependant, ces mesures peuvent avoir des effets contre-productifs. Les immigrants occupent souvent des emplois que les Québécois délaissent ou pour lesquels il y a une pénurie de main-d’œuvre. Notamment dans les secteurs de la santé, de l’informatique et de l’ingénierie. Leur présence est essentielle pour combler ces lacunes et soutenir l’activité des entreprises.
Les employeurs éprouvent des difficultés à recruter et à retenir des talents qualifiés. Cela freine ainsi la croissance des entreprises et affaiblit leur compétitivité. Les immigrants contribuent non seulement par leur travail, mais aussi par leurs dépenses, leurs investissements et leur participation à la vie sociale et culturelle. Les restrictions représentent donc un manque à gagner pour l’économie, engendrant des coûts accrus de recrutement et de formation.
Pénurie de main-d’œuvre : une situation nuancée
Malgré le ralentissement du marché de l’emploi en 2024, l’Institut du Québec souligne que les forces à l’origine des pénuries de main-d’œuvre persistent. Leur rapport révèle une réalité plus complexe que les statistiques ne le suggèrent. Par exemple, bien que le nombre de chômeurs ait augmenté de 47 700 et que le nombre de postes vacants soit au plus bas depuis 2018 avec 119 175 emplois à pourvoir, la pénurie de main-d’œuvre demeure dans plusieurs régions.
La région de Chaudière-Appalaches affiche un taux de chômage de 2,6 %, tandis que l’Abitibi-Témiscamingue présente un taux de chômage de 3,5 %, l’Estrie de 3,8 %, et le Saguenay–Lac-Saint-Jean de 4 %. En revanche, les grands centres urbains comme Montréal (8 %) et la Capitale-Nationale (4,5 %) ont des taux de chômage plus élevés. Dans sept régions du Québec, le ratio de chômeurs par postes vacants est de 1,5 ou moins. Cela signifie que pour chaque 1,5 chômeur, il y a un poste vacant, mettant en évidence une pénurie persistante de main-d’œuvre. Les entreprises doivent rivaliser pour attirer et retenir les talents, entraînant souvent une hausse des salaires et des avantages.
Les bienfaits de l’immigration pour le développement régional
L’immigration ne profite pas seulement aux grands centres urbains, mais aussi aux régions moins densément peuplées. En attirant des travailleurs étrangers, ces régions peuvent revitaliser leurs communautés, augmenter leur population active et dynamiser leur économie locale. Selon le rapport Bilan 2024 de l’emploi au Québec, certaines régions connaissent une pénurie de main-d’œuvre chronique, freinant leur développement économique (source). Par conséquent, l’immigration joue un rôle crucial dans le soutien au développement régional et la réduction des inégalités entre les régions.
Impacts sociaux des restrictions de visa
Les conséquences des restrictions de visa ne se limitent donc pas aux aspects économiques ; elles touchent également le tissu social du Québec. Les immigrants jouent un rôle essentiel dans la diversification culturelle et l’enrichissement de la société québécoise. En réduisant les opportunités de rencontres interculturelles, de partage et d’enrichissement mutuel entre les Québécois et les nouveaux arrivants, les restrictions de visa peuvent mener à une société moins inclusive et moins dynamique sur le plan culturel.
De plus, ces restrictions de visa pourraient exacerber les inégalités en favorisant les immigrants qualifiés au détriment de ceux moins qualifiés, ce qui affecte la cohésion sociale et l’inclusion. Cette situation crée une fragmentation sociale, rendant plus difficile l’intégration des nouveaux arrivants et l’harmonie entre les communautés. La contribution des immigrants à la vie culturelle et sociale est donc plus limitée.
Une approche plus globale et inclusive
Plutôt que de restreindre l’immigration, le Québec pourrait explorer des approches plus globales et inclusives pour répondre à ses défis. Par exemple, renforcer des initiatives existantes comme le Programme d’habitation abordable Québec et l’Initiative pour la création rapide de logements (ICRL) pourrait être bénéfique. Le gouvernement pourrait intensifier ses efforts en introduisant des incitations fiscales spécifiques pour les promoteurs immobiliers qui construisent des logements à prix réduit. Et en augmentant les subventions directes pour la construction de logements sociaux. Ces mesures pourraient améliorer l’offre de logements abordables et répondre à la demande croissante.
Parallèlement, développer des programmes de formation et de réintégration professionnelle pour les chômeurs en partenariat avec des entreprises locales pourrait être efficace. Par exemple, renforcer le Programme de soutien à la formation continue (PSFC) et les stages rémunérés permettrait aux chômeurs d’acquérir les compétences nécessaires pour répondre aux besoins du marché du travail. Le ministère de l’Éducation pourrait également collaborer avec les entreprises pour élaborer des formations adaptées aux évolutions technologiques et industrielles.
Restreindre l’immigration pour résoudre les crises du logement, de l’inflation et du chômage est simpliste et peut être contre-productif. En effet, les restrictions de visa visent à équilibrer les besoins économiques et démographiques avec la préservation de l’identité culturelle. Cependant, elles peuvent nuire à l’économie et à la communauté québécoise. Par conséquent, il est essentiel de trouver un équilibre pour répondre aux besoins des secteurs et éviter les pénuries de main-d’œuvre. Une approche inclusive et flexible pourrait ainsi mieux répondre aux défis actuels. Et cela, tout en préservant les valeurs culturelles et linguistiques du Québec.
Commentez sur "Revitaliser le Québec : le rôle crucial de l’immigration"