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De l’espace mental

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Contrainte d’aller magasiner des affaires qu’on ne trouve plus au centre-ville, je fais le pèlerinage aux centres d’achats. Je vais chez Sears, un vaste désert silencieux aux vendeurs introuvables, chez La Baie, une copie du précédent, chez Target, une copie des deux précédents, et chez d’autres dont je ne me souviens plus et qui se dédient également à nous inviter à remplir notre maison de choses qu’il nous faudrait.

À chaque magasin, on me demande à la caisse : «Voulez-vous la carte de crédit Déco Découverte? En fait ça vous donne un rabais de 20% sur votre premier achat, donc aujourd’hui ça vous sauve 23$. Vous la prenez?»

Moi, qui désire ardemment posséder le plus petit nombre possible de cartes, d’états de comptes, de noms d’utilisateur et de mots de passe sur des sites internet, de courriels m’indiquant que mon solde est en souffrance et que je devrais profiter de leurs spéciaux des Fêtes, ainsi que tout ce qui s’apparente de près ou de loin à ce que je viens de décrire et qui représente pour moi une pollution mentale réduisant considérablement mon bien-être psychologique, je réponds non merci sans réfléchir.
– Mais vous allez sauver 23$.
Je doute un instant. «Mhm… Est-ce que je suis obligée de mettre l’achat sur la carte de crédit pour économiser 23$?»
– Oui.
– Et après je peux payer le compte de la carte et ne plus jamais la réutiliser? Je n’en entendrai plus jamais parler?
– … ?
– Après, je peux me débarrasser de l’existence de cette carte dans ma vie?
– Pour fermer votre compte, vous appelez le service à la clientèle, je pense…

Je calcule. Payer le montant puis fermer le compte, ça va me prendre gros max une demi-heure de travail, pour 23$. Ça revient à 46$ de l’heure. Ça vaut la peine.

– Bon, ben je vais la prendre.

Elle sort une grand formulaire 8 ½ par 14 avec plein de cases à remplir. Je me demande aussitôt si, avec le remplissage de ce formulaire, je n’arrive pas plutôt à 45 minutes de travail pour ce 23$. Et puis je vois toutes ces questions, mon adresse, mon numéro de téléphone, mon courriel, autant d’endroits par lesquels de la publicité m’arrivera, et j’ai comme une grosse écoeurite soudaine.

Non, ça ne me tente pas de courir la chance de recevoir un appel gagnant pour un rabais VIP sur les marchandises d’après-Noël d’un magasin de décoration. Non, honnêtement, si j’ai besoin de quelque chose, ce n’est pas de ça. Si j’ai besoin de quelque chose, c’est de calme, d’une diminution considérable du débit du flot d’informations qui traversent ma tête, de paix de l’esprit, d’espace mental, de méditation, de messages simples d’amis qui m’invitent à un souper. Pas de 23$ + 38 minutes d’attente frustrée au téléphone pour fermer mon compte de carte de crédit Home Depot à marde.

C’est d’ailleurs ce que je vous souhaite pour Noël. De l’espace mental.
(Mais ça, c’est comme du sucre à la crème : si t’en veux, faut que tu t’en fasses.)